La chronique Livr’arbitre – Une époque formidable – par Jérôme Régnault

PRÉSENT LITTÉRAIRE
12 Présent – Samedi 7 décembre 2019
La chronique de Livr’arbitres
Une époque formidable

DEPUIS LE ROMAN La Route de Cormac McCarthy, la littérature postapocalyptique a, semble-t-il, acquis ses lettres de noblesse ou tout au moins connu un certain regain d’attractivité. Echo d’une angoisse sourde, pro- drome d’une époque troublée, la fin des temps est plus que jamais d’actualité.
Gilles Cosson nous livre un poignant ro- man ayant pour toile de fond cette fin du monde. Mais loin d’être un énième récit survivaliste pour amateur de science-fiction, c’est d’abord et avant tout un conte philosophique, où chaque élément du ré- cit est une métaphore de notre inconscient culturel. Le héros, père de famille, entreprend, dans un monde ravagé par un incendie nucléaire, une quête vers un ail- leurs où, semble-t-il, subsisterait un groupe organisé, promesse d’un territoire où l’humanité serait encore présente. Cette pérégrination, faite de rencontres multiples, est autant d’étapes jalonnant ce qui est une véritable initiation existentielle. Le héros découvre une société de petits hommes, sortes de simili- Hobbits, soumis à un étrange pouvoir dictatorial ayant une logique élitiste, dé- nué de tous sentiments jugés hérétiques.


Un pouvoir qui siérait bien aux univers d’Orwell ou d’Huxley. Epurant son récit de tout marqueur historique – point de raison au conflit nucléaire, le héros n’a pas de nom attitré –, Cosson nous dé- ploie une suite de paraboles dans une quête ayant les codes du roman d’aventures mâtinée de fantastique. Pour le prix de deux places de cinéma, vous en aurez largement pour votre argent, Cosson ayant un réel talent de narrateur, on est très vite happé par le souffle de l’histoire.
Certes, une première lecture nous inviterait à une métaphore critique du système soviétique, cela va de soi. Mais si l’on y regarde de plus près, Gilles Cosson nous parle d’ un monde où l’ idée de foi, de transcendance plus généralement est proscrite et bannie au profit d’un tropisme hyperscientiste, froid, calculateur et ultrarationnel… bref, notre époque, dans toute sa splendeur, ou du moins notre Occident tel qu’il est au- jourd’hui véhiculé et promis à la terre entière.


A cela, Gilles Cosson nous délivre un court essai en postface sur sa vision des temps qui viennent, où l’idée de Dieu lui semble nécessaire, vitale mais sans contingence dogmatique. Une spiritua- lité qui doit nous accompagner afin de refréner les fureurs technoscientistes de l’homme, une sorte de syncrétisme per- mettant un équilibre entre forces spirituelle et matérielle dont le taoïsme, de
par sa plasticité pragmatique, lui paraît être un certain idéal.
Bien sûr cette problématique entre raison et croyance est vieille comme une dissertation de philo mais ne boudons pas notre plaisir tout de même.

l Gilles Cosson, L’Homme qui parle, Editions Pierre-Guillaume de Roux, 2019. w