Le texte qui suit résume mes analyses issues de « L’Homme qui parle », un conte philosophique méditant sur l’épuisement intellectuel et moral dont souffre le monde d’aujourd’hui, en particulier l’Occident. Mais il se penche aussi sur les moyens de surmonter ces faiblesses par la réapparition du « sens » dans une époque de bouleversements sans égale dans l’Histoire.
La crise liée au COVID-19 oblige chacun à se poser quelques questions existentielles sur sa vie, son activité… et son éventuelle disparition. Rien ne sera plus tout à fait comme avant et pourtant, rien d’essentiel n’a changé, sinon le rappel de notre éternelle petitesse.
Mondialisation et conflits religieux :
Un nouveau « sens » pour notre époque ?
Mondialisation
Problèmes matériels
La mondialisation représente probablement le facteur le plus frappant d’unification, mais aussi de dissociation culturelle et spirituelle, de notre temps. Les interrogations correspondantes sont très anciennes puisque l’économiste Ricardo souhaitait au début du XIXème siècle l’échange international des biens pour éviter justement les migrations qui rompent « l’attachement naturel des peuples » à leur terre. Cette observation était reprise un peu plus tard par un autre économiste, Pareto, qui affirmait que face au phénomène migratoire, il était essentiel de distinguer l’optimum économique de l’optimum social.
Le vingtième siècle devant l’explosion des fureurs nationalistes avec deux guerres mondiales à la clef, écartera cette polémique jugée secondaire, mais celle-ci est maintenant revenue au centre du débat. Là où en effet la mondialisation a conduit à un accroissement de richesse général, elle a fait aussi apparaitre des inégalités conduisant les personnes les plus fortunées à former une super classe internationale ignorant, voire méprisant la majorité silencieuse. Cela s’est traduit par une perte générale des repères éthiques avec apparition de ses corolaires : intégrisme ou populisme. Dans un rapport récent sur l’égalité des chances aux USA, Joseph Stiglitz¹ analyse clairement le problème avec en filigrane la nécessité du retour du « social » dans l’entreprise.
L’on peut ajouter à ces problèmes matériels ceux soulevés par les mutations écologiques qui accentuent ce phénomène avec le déplacement de groupe sociaux entiers placés devant le problème d’une absence de ressources. Cela est particulièrement vrai du continent africain dont la population souffre d’un accroissement trop rapide, comparé à celui de ses richesses.
Déshérence culturelle
Sur le plan culturel apparait actuellement un problème de désagrégation de l’unité linguistique des divers pays européens. Or il existe depuis toujours un lien puissant entre langue orale, celle de la vie de tous les jours et langue écrite, vecteur essentiel de la culture, les deux se nourrissant l’une de l’autre. L’exemple de l’effacement de l’écriture hiéroglyphique dans l’Egypte ancienne montre bien l’identité entre langue et civilisation, la disparition de l’une entrainant celle de l’autre. Plus récemment, les constatations de Thomas Mann font apparaitre l’affaiblissement de la riche tradition culturelle germanique face au problème de l’exode massif des écrivains allemands sous la pression du nazisme².
S’agissant de notre époque, on ne peut que constater l’invasion des langues européennes par des vocables « américains » souvent eux-mêmes abâtardis, avec l’apparition d’une langue dégradée et l’abaissement général des traditions culturelles, tout cela au bénéfice d’un consumérisme béat niant les fondements mêmes de nos civilisations.
Déshérence spirituelle
Les progrès scientifiques et techniques jouent contre les révélations ou philosophies du passé. L’invraisemblance ou la simple inadaptation de certains aspects des doctrines religieuses en est une conséquence indirecte. Citons à titre d’exemple s’agissant de l’islam les révélations par nature non discutables reçues directement d’Allah (la « Table gardée ») avec en particulier le rôle minoré de la femme, mais aussi dans la religion catholique le célibat des prêtres ou le dogme de l’infaillibilité pontificale, sans parler de la vénération hindoue à l’égard de Dieux parfois incohérents et des exigences sexuelles étranges d’un certain Tao. Tout cela montre la faiblesse des civilisations traditionnelles face aux mouvements violents auxquels elles sont confrontées.
Les difficultés des différents clergés face à la contestation des dogmes anciens confirment la dégradation des bases mêmes des rites et traditions populaires soumises à des modifications brutales. À titre d’exemple, les problèmes de la reproduction humaine avec la fécondation élargie aux mères porteuses et les manipulations génétiques font apparaître des problèmes éthiques considérables. Par ailleurs, les voyages multiples auprès de gens d’origine très différentes avec leurs coutumes alimentaires, sexuelles et comportementales distinctes accentuent la prise de conscience du caractère relatif des habitudes locales. Le caractère inexorable de la déstabilisation des croyances traditionnelles n’en apparait que mieux.
Conflits religieux
L’intégrisme religieux est un puissant facteur de récupération identitaire qui compense l’effet destructeur de la mondialisation, mais qui va, par contraste, accentuer les conflits idéologiques: individualisme d’un côté, communautarisme de l’autre, tous deux prompts à affirmer leur supériorité, cela d’autant plus que le productivisme et le matérialisme exacerbés sont souvent présentés en Occident comme des solutions crédibles qui malmènent pourtant les traditions culturelles locales.
Modifications des identités culturelles
Dans ce domaine, les exemples abondent. Parmi ceux-ci, on peut citer « L’Inde de Modi » entraînant le passage de l’Inde du multiculturalisme de Gandhi et Nehru à une forme de démocratie ethnique ravalant les minorités, de fait sinon de droit, au rang de citoyens de seconde zone. Il est possible de penser aussi à certaines manifestations du renouveau évangélique radical aboutissant là encore à des certitudes excessives et donc à des phénomènes d‘exclusion de l’autre, ou au radicalisme salafiste, rejetant le principe même des civilisations occidentales au bénéfice d’une conception antique de l’islam « pur ».
Notons à ce sujet que la radicalisation opère dans des espaces géographiques fermés : prisons, mosquées, églises, voire des espaces virtuels, à l’exemple de la messagerie « Telegram », qui toutes renforcent la puissance du message diffusé. L’une des vertus de la radicalité pour ceux qui s’y adonnent, c’est d‘ailleurs qu’elle exonère l’individu de ses erreurs passées, lui-même devant rompre avec sa famille et son environnement pour renaître (to be born again). S’agissant de l’islam revendicatif d’aujourd’hui, c’est l’occasion d’affirmer une idéologie victimaire qui dure tout au long du XXe siècle et se poursuit de nos jours.
Conflits latents et ouverts
Soumis aux tensions actuelles, beaucoup de croyants traditionnels renoncent alors à toute foi avec en parallèle l’apparition d’idéologies contestataires s’affirmant comme indépendantes du terreau local. Ainsi en est-il en Occident de territoires entiers livrés à des réflexes de repli, souvent associés à des difficultés d’adaptation économiques, mais aussi ultime protection de populations déracinées face à la violence des contraintes culturelles qu’elles subissent. La conséquence en est un affrontement entre les diverses doctrines monothéistes comme le montrent certains attentats récents, l’islam, vecteur de certitudes intangibles, s’opposant aux divers christianismes, eux-mêmes victimes de controverses jugées dépassées par nombre de leurs membres. Il est à noter que ces conflits proviennent presque toujours des oppositions entre révélations du « Livre » au sens biblique du terme, l’Extrême-Orient n’ayant jamais éprouvé le besoin de telles croyances : le confucianisme, le taoïsme et le bouddhisme, produits d’une sagesse immémoriale, ont parfaitement remplis leur rôle de réponse à la demande spirituelle locale sans besoin de doctrines révélées. Une bonne analyse de ces phénomènes est fournie par des commentateurs avisés parmi lesquels nous retiendrons les œuvres de Paul Diel, Autrichien réfugié en France qui dans plusieurs ouvrages médite sur l’effondrement des « fois » traditionnelles avec les conséquences qui en découlent.
“L’effondrement de la foi amène l’effondrement de l’activité sensée. (Celle-ci) se perd dans des directions multiples et insensées, inverses et perverses. Des idéaux erronés se forment, se contrecarrent et s’échauffent jusqu’au fanatisme.”
Paul Diel — Science et foi
Face aux différentes mutations que nous venons d’évoquer, l’inquiétude domine, car on ne voit pas bien ce qui pourrait remplacer la cohésion sociale naissant d’un long passé doctrinal qui, même abandonné dans la pratique quotidienne, fournissait une base solide aux traditions culturelles locales.
S’agissant en particulier des problèmes liés à l’immigration massive associée à la mondialisation et à la pauvreté croissante de pays abandonnés à eux-mêmes, seule une baisse de la population mondiale serait sans doute capable de réduire la violence qui en découle ; mais l’on voit mal de quelle autorité procéderait cette évolution. Et même dans ce cas improbable, les problèmes liés à l’évolution des comportements sociétaux ne disparaitraient pas pour autant.
C’est bien la nature même des civilisations, en particulier occidentales, qui est aujourd’hui contestée avec des risques accrus de conflits violents.
Cela dit, le désastre et le désespoir sont-ils inévitables face à la mondialisation ? La perte du sens de la vie pour des populations entières est-elle définitive ? Tels sont bien les problèmes devant lesquels nous nous trouvons et auxquels nous allons tenter de répondre.
Une chose est certaine : Le volume des connaissances humaines s’est démesurément agrandi, entrainant pour l’humanité dans son ensemble des changements de nature véritablement tectoniques et nous ne pouvons en rester là. Le monde qui vient va exiger de nous des mécanismes d’adaptations face aux mutations qui s’annoncent et qui vont dépasser tout ce que l’humanité a connu jusqu’à présent.
Un nouveau « sens » pour notre époque est-il possible ?
Comment remédier à la déshérence actuelle en matière de « sens » ? Que faire pour contrer cette tendance lourde ? Comment relativiser le matérialisme excessif qui tente de faire oublier l’essentiel ? Tel est le sujet de « L’Homme qui parle » et de son épilogue « Quel Dieu pour le XXI ème siècle ? ».
Sur la forme et le contenu de l’ouvrage
Cette recherche du « sens » apparaît comme une évidence nécessaire dans le récit épique de « L’Homme qui parle », avec son héros, sorte de Candide du XXI ème siècle parti à la recherche d’aide après une catastrophe nucléaire mondiale. L’aventure se déroule au sein d’une société fictive fondée sur la domination des plus riches et des plus savants au détriment des plus modestes réduits à la condition de serviteurs tout juste chargés de produire et de consommer.
Ce sera le rôle de « l’Homme qui parle » de révéler que les hommes ne peuvent vivre dans une perspective seulement matérielle, récit mené au travers d’une aventure périlleuse. Deux idées sont soulignées dans cette allégorie : la suprématie des passions sur la raison dans l’évolution sociale et l’aspiration à un amour transcendant la réalité quotidienne, le tout dans un contexte pourtant très matérialiste. On ne peut que penser à ce sujet aux thèses de Hobbes (« l ’Homme machine ») ou bien sûr, à celles de Marx et d’Engels. « L’Homme qui parle » s’oppose à contrario à cette vision réductrice, a l’instar de la recherche obstinée de la vérité dans « l’Homme ne vit pas seulement de pain » dans l’URSS de Vladimir Doudintsev, sans parler des diverses religions ou philosophies qui convergent depuis toujours sur ce point essentiel.
Sur l’opposition des doctrines matérialistes et spiritualistes
Deux tendances s’affrontent :
- Dans le « Hasard et la nécessité », Jacques Monod rappelle sa thèse selon laquelle le hasard est la seule cause de toute l’évolution humaine.
- Celle de la finalité de cette évolution.
“La clef de voûte de l’interrogation philosophique est de savoir si l’homme n’est qu’un degré de sophistication avancée du vivant ou s’il procède d’une ontologie qui lui est propre.”
Paul Meyer, physicien français
Là est bien le débat sur lequel nous allons nous interroger à la lumière des réflexions et apports scientifiques récents.
Les approches philosophiques récentes
« …Exclure la raison, n’admettre que la raison… » est une faute, nous dit Pascal dans les « Pensées ». Au vingtième siècle, le père Teilhard de Chardin, Henri Bergson et Etty Hillesum mêlent raison et intuition dans une conception spiritualiste de l’univers où science et foi ne se contredisent pas. Il est essentiel de noter que ces ouvrages se fondent sur une approche scientifique très en retard par rapport aux sources dont nous disposons. Mais le jésuite/paléontologue, le philosophe et la jeune intellectuelle juive ne pouvaient connaitre au début du vingtième siècle ce que nous savons maintenant et qui a profondément modifié le socle de notre réflexion.
“Nous ne sommes pas des êtres humains vivant une expérience spirituelle, nous sommes des êtres spirituels, vivant une expérience humaine.”
Teilhard de Chardin
La religion dynamique est celle du mystique, hors de toute analyse intellectuelle : “Création signifie, avant tout émotion… Aucune spéculation ne créera une obligation… ; peu m’importe la beauté de la théorie, je pourrais toujours dire que je ne l’accepte pas. Tandis que si l’émotion me pénètre, j’agirai selon elle, soulevé par elle.”
Et le mysticisme nait alors “d’une prise de conscience partielle avec l’effort créateur que manifeste la vie”.Bergson
“Je retrouvais le contact avec moi-même, avec ce qu’il y a de plus profond en moi et que j’appelle Dieu.”
Etty Hillesum
Ce “plus profond” rapproche la jeune Hollandaise d’origine juive morte à 29 ans à Auschwitz (novembre 1943), de la source du « grand courant de vie » dont, à la façon de Bergson, Etty Hillesum pressent la force créatrice dans laquelle nous baignons.
Deux points de connaissances nouvelles dans le domaine rationnel sont en effet apparus :
- Le monde de la pensée bénéficie depuis peu d’une meilleure compréhension.
Nous savons en effet que nos idées diffusent dans l’infini des mondes avec leur énergie propre, celle du train d’ondes qui les accompagne, comme en témoignent les expériences de mise en mouvement d’un objet inanimé par l’émission d’une volonté forte (cf. aussi la télépathie). Dans « l’Homme qui parle » comme dans un ouvrage précédent, j’ai appelé « L’Esprit qui Veille » le rassemblement de toutes les pensées conscientes émises depuis l’origine des temps, cet ensemble constituant une immense agrégation d’énergie matérielle et « spirituelle », sans oublier celle qui a peut-être accompagné la naissance de l’univers.
Ici intervient, à l’image de la goutte d’eau rejoignant l’océan tout en conservant sa nature propre, celle de la pensée individuelle se fondant dans l’univers spirituel sans limite qui nous entoure.
La pensée ne se « perd » pas : elle contribue à l’existence globale du monde spirituel. Ainsi « l’âme », concept éternellement fluctuant, peut-elle être considérée comme unique et immortelle parce que regroupant toutes les pensées “spirituelles” émises par un individu depuis sa naissance jusqu’à sa mort.
Ajoutons que, dans cette conception de la pensée, à la fois réceptacle et acteur de l’univers spirituel, chacun reçoit une responsabilité nouvelle, celle d’améliorer au travers de ses idées propres la nature et la cohésion du cosmos. On peut citer à ce sujet l’exemple des communautés religieuses chrétiennes, bouddhistes ou taoïstes, méditant et priant au nom de tous sans bénéficier d’aucune certitude. S’il est vain de vouloir comprendre l’univers immatériel dans sa complexité, nous pensons que l’océan spirituel comporte une plasticiteé et une interactiviteé le rendant apte à s’adapter et à répondre au questionnement des êtres pensants.
Quelle est la puissance de ce monde invisible ? Impossible de le savoir même si son existence ne fait pas de doute comme le montre le pouvoir de la pensée sur certains robots. Notons que les premiers moments du monde semblent avoir été à tous égards « surpuissants » :
- L’existence d’un Dieu, essence et acteur du monde spirituel n’est pas incompatible avec ces analyses.
L’apparition de la lumière vers l’an trois cents cinquante mille, découverte au travers des expériences très récentes des satellites Cobe et Planck partis à la recherche des premiers moments du monde ouvre des perspectives insoupçonnées. Là où l’origine du monde est en général fixée à 13,6 milliards d’années, le « j’ai cru apercevoir le visage de Dieu » pensée exprimée par Georges Smoot, prix Nobel s’exprimant sur la lumière naissante, vers l’an 350.0000 après le Big- Bang, crée la stupeur. Mais c’est aussi le cas d’Albert Einstein raisonnant par anticipation sur ce qui allait advenir ou de Freeman Dyson, de Burton Richter sans oublier Paul Dirac ou Stephen Hawkings. Il est clair que nous dépassons là l’analyse rationnelle.
“Tous ceux qui sont sérieusement impliqués dans la science finiront par comprendre qu’un Esprit se manifeste dans les lois de l’univers, un Esprit immensément supérieur à celui de l’homme.”
Albert Einstein — Lettre à un enfant, 1936
“En tant un scientifique éduqué dans le mode de pensée et le langage du XXème siècle et non du XVIIème, je ne prétends pas que l’architecture de l’univers prouve l’existence de Dieu, je dis seulement que cette architecture est compatible avec l’hypothèse selon laquelle « l’esprit » joue un rôle essentiel dans le fonctionnement de l’univers. Je pense que l’univers tend vers la vie et la conscience et qu’il a du sens parce que nous sommes là pour l’observer et appréhender sa beauté harmonique. Mais j’insiste sur le fait qu’il s’agit là d’un pari métaphysique et non d’un strict raisonnement scientifique. […] Plus j’analyse l’univers et étudie les détails de son architecture, plus je rencontre de preuves selon lesquelles dans un certain sens l’univers savait que nous allions apparaitre. Il y a plusieurs exemples saisissants au sein des lois de la physique nucléaire d’accidents numériques qui semblent conspirer pour rendre l’univers habitable.”
Freeman Dyson, scientifique anglo-américain proche de Paul Dirac et de Stephen Hawking
L’existence d’une force fondatrice semble donc bien apparaitre à l’horizon. L’on peut s’interroger à ce sujet sur la nature de l’énergie noire qui oblige le monde à l’expansion continue alors que la force de gravitation devrait l’amener à s’effondrer sur elle-même.
L’expérience semble enfin affirmer que la « polarité globale » du monde est positive et que la notion de « bien » est éternelle et générale. C’est ce qu’affirme la « règle d’or », éthique de réciprocité, de solidarité et d’acceptation de l’autre dont le principe fondamental est énoncé dans presque toutes les grandes religions et cultures. « Ne fais pas aux autres ce que tu ne voudrais pas qu’on te fasse » constitue une forme de morale universelle qui se retrouve aussi bien dans l’humanisme athée que dans les religions orientales, proche- orientales ou occidentales, ou encore dans les préceptes philosophiques de l’Egypte antique et de l’Antiquité grecque. Ajoutons que la polarité positive évoquée se constate avec l’effondrement final de toutes les utopies meurtrières (Inquisition, nazisme, stalinisme) même si entre le « bien » et le « mal » la lutte est toujours ouverte. Mais, surtout, ces allées et venues, positives ou négatives entre « bien » et « mal » se traduisent in fine par l’amélioration continue de nos connaissances, l’élévation sans fin de celles-ci semblant être un objectif mystérieux assigné à l’être humain avec ses effets heureux (pénicilline, énergie atomique…) et malheureux (guerre bactériologique, bombe nucléaire…), en attendant demain la conquête de l’espace qui va ouvrir des horizons entièrement nouveaux et métaphysiquement passionnants.
Cela dit, la nature de la force créatrice mettant l’univers en mouvement restera pour toujours mystérieuse et le grand carrousel des mythes et des religions est là pour répondre à l’inquiétude métaphysique des hommes.
“Le problème métaphysique est avant tout l’effroi devant l’inconnu essentiel et cet effort consiste à spiritualiser le mystère en en créant une image symbolique susceptible de donner un appui et un but directif a l’imagination afin de sublimer l’effroi en le transformant en un instrument de confiance. C’est cet effroi sublimé, transformé en adoration qui caractérise le sens religieux et c’est le mystère essentiellement inexplicable, l’essence mystérieuse de la vie, qui de tout temps a été symboliquement appelé « le divin ».”
Paul Diel — Science et foi
Où en est l’histoire des mythes et religions ?
Dans cette saga qui a commencé avec l’être préhistorique, reposons-nous la question de savoir comment ces mythes et religions répondent à notre angoisse présente. Les grands « éveilleurs » de l’humanité qu’ont été́ les divers prophètes des trois plus grandes religions et des trois philosophies mondiales d’aujourd’hui : judaïsme, chrétienté, islam pour les premières, taoïsme, hindouisme, bouddhisme pour les secondes, ont tous témoigné de leur foi, plus ou moins affirmée, s’agissant de la cause première et des fins dernières. Toutes ou presque ont manifesté, rappelons-le, une grande unité de vues en matière de morale ; mais la question pour nous est aussi en cette période de mutations accélérées, celle, de la liberté individuelle, de la tolérance et de l’absence de prosélytisme meurtrier.
On ne peut à ce sujet que condamner toutes les révélations autoritaires appelant l’homme à une soumission contraire à sa nature même et réduisant ses croyances à une vision esclavagiste contraire à tout progrès spirituel. Tel est bien le problème de tous les intégrismes religieux et en particulier celui de l’islam fondamentaliste de notre époque.
Conclusion : un nouveau « sens » pour notre époque
L’existence de « L’Esprit qui Veille » dont j’ai précisé quelque peu les contours dans diverses analyses, en particulier dans l’ouvrage du même nom (cf. Michalon 2013), comme dans « L’Homme qui Parle » (P.G. de Roux 2019) et les découvertes récentes en matière d’origine de l’univers semblent pouvoir constituer une voie d’union dans la découverte du « sens » sans lequel toutes les dérives meurtrières sont possibles. Cette voie d’union constitue le socle d’une prise de conscience amenant chacun à dépasser sans les renier ses croyances d’origine.
Pour dire les choses autrement, le « sens » tel qu’ainsi défini ne saurait constituer une « foi » au sens religieux du terme, mais l’acceptation intime d’un processus de dépassement nécessaire et motivant pour l’homme d’aujourd’hui. Il ne demande pas l’abandon d’aucune croyance préexistante, il fournit une voie de dépassement appuyée sur les prodigieuses mutations que nous vivons. Une révélation n’est pas nécessaire pour accepter ces constatations. Et pour citer à ce sujet « L’Homme qui parle » :
“En matière spirituelle, il ne sera pas possible de se contenter du legs de nos aïeux. À contexte si fortement neuf, vision nouvelle. L’être humain se défera dans l’angoisse et la terreur s’il ne peut s’appuyer sur une conscience rénovée de son rôle dans les cieux infinis qui l’attendent.
Et cette conscience nouvelle, prix de sa pérennité en tant qu’être pensant et agissant, ne demandera nullement l’abandon du passé, elle demandera seulement de sublimer ce dernier pour vivre et progresser dans la froide lumière de l‘univers de demain.”
L’Esprit qui Veille constitue donc pour nous, redisons-le, une proposition qui n’exclut pas les religions passées mais qui suggère une voie de dépassement.
Quelle est donc la place de l’auteur de ces lignes dans tout cela ? Peut-être celle du guetteur formé dans les grands espaces naturels et recherchant la présence de l’Esprit face à un monde déboussolé…
Quelques mots pour finir
Trois grands axes me semblent pouvoir être mis en avant qui ne demandent ni excès d’affirmation ni reniement :
- Le premier, celui de la paix, paix personnelle et paix collective dans un ensemble aujourd’hui abandonné à sa cruauté naturelle et prédatrice,
- Celui de la confiance, ensuite, face à un monde dont les mutations viennent tout juste de commencer et qui vont aller s’accélérant. Nous ne devrons jamais désespérer devant l’univers qui vient,
- Celui du courage enfin face à ce qui dépasse et dépassera encore plus demain les frontières de notre être physique et moral. Il en faudra beaucoup aux hommes pour affronter les problèmes qui les attendent.
Partager, faire partager le message d’espoir est sans doute le plus important. Telle est en tous cas ma conviction face aux doutes et incertitudes qui nous entourent.
Gilles Cosson, conférence donnée à l’espace Orsay le 25/01/2020
Notes
¹ Voir en particulier: A new study, released by the Economic Policy Institute (EPI) , found that the ratio of CEO-to-worker compensation was 278-to-1 in 2018, up from a ratio of 58-to-1 in 1989.
² De toutes les situations d’exil politique, celui des Allemands quittant leur pays d’origine entre 1933 et 1940 sous la pression du nazisme se distingue par le nombre d’artistes choisissant de se réfugier à l’étranger pour échapper à une situation qui menace leur art et leur vie. C’est l’occasion de réfléchir aux menaces qui pèsent sur la qualité d’une culture face à la perte de l’idiome local. On peut noter à ce sujet les difficultés éprouvées par Rainer Maria Rilke pour versifier en français, langue dont il ne maitrisait pas la substance intime.