Archives de l’auteur : Gilles Cosson

A la recherche du sens de la vie

Le texte qui suit résume mes analyses issues de « L’Homme qui parle », un conte philosophique méditant sur l’épuisement intellectuel et moral dont souffre le monde d’aujourd’hui, en particulier l’Occident. Mais il se penche aussi sur les moyens de surmonter ces faiblesses par la réapparition du « sens » dans une époque de bouleversements sans égale dans l’Histoire.

La crise liée au COVID-19 oblige chacun à se poser quelques questions existentielles sur sa vie, son activité… et son éventuelle disparition. Rien ne sera plus tout à fait comme avant et pourtant, rien d’essentiel n’a changé, sinon le rappel de notre éternelle petitesse.

Mondialisation et conflits religieux :
Un nouveau « sens » pour notre époque ?

Mondialisation

Problèmes matériels

La mondialisation représente probablement le facteur le plus frappant d’unification, mais aussi de dissociation culturelle et spirituelle, de notre temps. Les interrogations correspondantes sont très anciennes puisque l’économiste Ricardo souhaitait au début du XIXème siècle l’échange international des biens pour éviter justement les migrations qui rompent « l’attachement naturel des peuples » à leur terre. Cette observation était reprise un peu plus tard par un autre économiste, Pareto, qui affirmait que face au phénomène migratoire, il était essentiel de distinguer l’optimum économique de l’optimum social.

Le vingtième siècle devant l’explosion des fureurs nationalistes avec deux guerres mondiales à la clef, écartera cette polémique jugée secondaire, mais celle-ci est maintenant revenue au centre du débat. Là où en effet la mondialisation a conduit à un accroissement de richesse général, elle a fait aussi apparaitre des inégalités conduisant les personnes les plus fortunées à former une super classe internationale ignorant, voire méprisant la majorité silencieuse. Cela s’est traduit par une perte générale des repères éthiques avec apparition de ses corolaires : intégrisme ou populisme. Dans un rapport récent sur l’égalité des chances aux USA, Joseph Stiglitz¹ analyse clairement le problème avec en filigrane la nécessité du retour du « social » dans l’entreprise.

L’on peut ajouter à ces problèmes matériels ceux soulevés par les mutations écologiques qui accentuent ce phénomène avec le déplacement de groupe sociaux entiers placés devant le problème d’une absence de ressources. Cela est particulièrement vrai du continent africain dont la population souffre d’un accroissement trop rapide, comparé à celui de ses richesses.

Déshérence culturelle

Sur le plan culturel apparait actuellement un problème de désagrégation de l’unité linguistique des divers pays européens. Or il existe depuis toujours un lien puissant entre langue orale, celle de la vie de tous les jours et langue écrite, vecteur essentiel de la culture, les deux se nourrissant l’une de l’autre. L’exemple de l’effacement de l’écriture hiéroglyphique dans l’Egypte ancienne montre bien l’identité entre langue et civilisation, la disparition de l’une entrainant celle de l’autre. Plus récemment, les constatations de Thomas Mann font apparaitre l’affaiblissement de la riche tradition culturelle germanique face au problème de l’exode massif des écrivains allemands sous la pression du nazisme².

S’agissant de notre époque, on ne peut que constater l’invasion des langues européennes par des vocables « américains » souvent eux-mêmes abâtardis, avec l’apparition d’une langue dégradée et l’abaissement général des traditions culturelles, tout cela au bénéfice d’un consumérisme béat niant les fondements mêmes de nos civilisations.

Déshérence spirituelle

Les progrès scientifiques et techniques jouent contre les révélations ou philosophies du passé. L’invraisemblance ou la simple inadaptation de certains aspects des doctrines religieuses en est une conséquence indirecte. Citons à titre d’exemple s’agissant de l’islam les révélations par nature non discutables reçues directement d’Allah (la « Table gardée ») avec en particulier le rôle minoré de la femme, mais aussi dans la religion catholique le célibat des prêtres ou le dogme de l’infaillibilité pontificale, sans parler de la vénération hindoue à l’égard de Dieux parfois incohérents et des exigences sexuelles étranges d’un certain Tao. Tout cela montre la faiblesse des civilisations traditionnelles face aux mouvements violents auxquels elles sont confrontées.

Les difficultés des différents clergés face à la contestation des dogmes anciens confirment la dégradation des bases mêmes des rites et traditions populaires soumises à des modifications brutales. À titre d’exemple, les problèmes de la reproduction humaine avec la fécondation élargie aux mères porteuses et les manipulations génétiques font apparaître des problèmes éthiques considérables. Par ailleurs, les voyages multiples auprès de gens d’origine très différentes avec leurs coutumes alimentaires, sexuelles et comportementales distinctes accentuent la prise de conscience du caractère relatif des habitudes locales. Le caractère inexorable de la déstabilisation des croyances traditionnelles n’en apparait que mieux.

Conflits religieux

L’intégrisme religieux est un puissant facteur de récupération identitaire qui compense l’effet destructeur de la mondialisation, mais qui va, par contraste, accentuer les conflits idéologiques: individualisme d’un côté, communautarisme de l’autre, tous deux prompts à affirmer leur supériorité, cela d’autant plus que le productivisme et le matérialisme exacerbés sont souvent présentés en Occident comme des solutions crédibles qui malmènent pourtant les traditions culturelles locales.

Modifications des identités culturelles

Dans ce domaine, les exemples abondentParmi ceux-ci, on peut citer « L’Inde de Modi » entraînant le passage de l’Inde du multiculturalisme de Gandhi et Nehru à une forme de démocratie ethnique ravalant les minorités, de fait sinon de droit, au rang de citoyens de seconde zone. Il est possible de penser aussi à certaines manifestations du renouveau évangélique radical aboutissant là encore à des certitudes excessives et donc à des phénomènes d‘exclusion de l’autre, ou au radicalisme salafiste, rejetant le principe même des civilisations occidentales au bénéfice d’une conception antique de l’islam « pur ».

Notons à ce sujet que la radicalisation opère dans des espaces géographiques fermés : prisons, mosquées, églises, voire des espaces virtuels, à l’exemple de la messagerie « Telegram », qui toutes renforcent la puissance du message diffusé. L’une des vertus de la radicalité pour ceux qui s’y adonnent, c’est d‘ailleurs qu’elle exonère l’individu de ses erreurs passées, lui-même devant rompre avec sa famille et son environnement pour renaître (to be born again). S’agissant de l’islam revendicatif d’aujourd’hui, c’est l’occasion d’affirmer une idéologie victimaire qui dure tout au long du XXe siècle et se poursuit de nos jours.

Conflits latents et ouverts

Soumis aux tensions actuelles, beaucoup de croyants traditionnels renoncent alors à toute foi avec en parallèle l’apparition d’idéologies contestataires s’affirmant comme indépendantes du terreau local. Ainsi en est-il en Occident de territoires entiers livrés à des réflexes de repli, souvent associés à des difficultés d’adaptation économiques, mais aussi ultime protection de populations déracinées face à la violence des contraintes culturelles qu’elles subissent. La conséquence en est un affrontement entre les diverses doctrines monothéistes comme le montrent certains attentats récents, l’islam, vecteur de certitudes intangibles, s’opposant aux divers christianismes, eux-mêmes victimes de controverses jugées dépassées par nombre de leurs membres. Il est à noter que ces conflits proviennent presque toujours des oppositions entre révélations du « Livre » au sens biblique du terme, l’Extrême-Orient n’ayant jamais éprouvé le besoin de telles croyances : le confucianisme, le taoïsme et le bouddhisme, produits d’une sagesse immémoriale, ont parfaitement remplis leur rôle de réponse à la demande spirituelle locale sans besoin de doctrines révélées. Une bonne analyse de ces phénomènes est fournie par des commentateurs avisés parmi lesquels nous retiendrons les œuvres de Paul Diel, Autrichien réfugié en France qui dans plusieurs ouvrages médite sur l’effondrement des « fois » traditionnelles avec les conséquences qui en découlent.

“L’effondrement de la foi amène l’effondrement de l’activité sensée. (Celle-ci) se perd dans des directions multiples et insensées, inverses et perverses. Des idéaux erronés se forment, se contrecarrent et s’échauffent jusqu’au fanatisme.”

Paul Diel — Science et foi

Face aux différentes mutations que nous venons d’évoquer, l’inquiétude domine, car on ne voit pas bien ce qui pourrait remplacer la cohésion sociale naissant d’un long passé doctrinal qui, même abandonné dans la pratique quotidienne, fournissait une base solide aux traditions culturelles locales.

S’agissant en particulier des problèmes liés à l’immigration massive associée à la mondialisation et à la pauvreté croissante de pays abandonnés à eux-mêmes, seule une baisse de la population mondiale serait sans doute capable de réduire la violence qui en découle ; mais l’on voit mal de quelle autorité procéderait cette évolution. Et même dans ce cas improbable, les problèmes liés à l’évolution des comportements sociétaux ne disparaitraient pas pour autant.

C’est bien la nature même des civilisations, en particulier occidentales, qui est aujourd’hui contestée avec des risques accrus de conflits violents.

Cela dit, le désastre et le désespoir sont-ils inévitables face à la mondialisation ? La perte du sens de la vie pour des populations entières est-elle définitive ? Tels sont bien les problèmes devant lesquels nous nous trouvons et auxquels nous allons tenter de répondre.

Une chose est certaine : Le volume des connaissances humaines s’est démesurément agrandi, entrainant pour l’humanité dans son ensemble des changements de nature véritablement tectoniques et nous ne pouvons en rester là. Le monde qui vient va exiger de nous des mécanismes d’adaptations face aux mutations qui s’annoncent et qui vont dépasser tout ce que l’humanité a connu jusqu’à présent.

Un nouveau « sens » pour notre époque est-il possible ?

Comment remédier à la déshérence actuelle en matière de « sens » ? Que faire pour contrer cette tendance lourde ? Comment relativiser le matérialisme excessif qui tente de faire oublier l’essentiel ? Tel est le sujet de « L’Homme qui parle » et de son épilogue « Quel Dieu pour le XXI ème siècle ? ».

Sur la forme et le contenu de l’ouvrage

Cette recherche du « sens » apparaît comme une évidence nécessaire dans le récit épique de « L’Homme qui parle », avec son héros, sorte de Candide du XXI ème siècle parti à la recherche d’aide après une catastrophe nucléaire mondiale. L’aventure se déroule au sein d’une société fictive fondée sur la domination des plus riches et des plus savants au détriment des plus modestes réduits à la condition de serviteurs tout juste chargés de produire et de consommer.

Ce sera le rôle de « l’Homme qui parle » de révéler que les hommes ne peuvent vivre dans une perspective seulement matérielle, récit mené au travers d’une aventure périlleuse. Deux idées sont soulignées dans cette allégorie : la suprématie des passions sur la raison dans l’évolution sociale et l’aspiration à un amour transcendant la réalité quotidienne, le tout dans un contexte pourtant très matérialiste. On ne peut que penser à ce sujet aux thèses de Hobbes (« l ’Homme machine ») ou bien sûr, à celles de Marx et d’Engels. « L’Homme qui parle » s’oppose à contrario à cette vision réductrice, a l’instar de la recherche obstinée de la vérité dans « l’Homme ne vit pas seulement de pain » dans l’URSS de Vladimir Doudintsev, sans parler des diverses religions ou philosophies qui convergent depuis toujours sur ce point essentiel.

Sur l’opposition des doctrines matérialistes et spiritualistes

Deux tendances s’affrontent :

  • Dans le « Hasard et la nécessité », Jacques Monod rappelle sa thèse selon laquelle le hasard est la seule cause de toute l’évolution humaine.
  • Celle de la finalité de cette évolution.

“La clef de voûte de l’interrogation philosophique est de savoir si l’homme n’est qu’un degré de sophistication avancée du vivant ou s’il procède d’une ontologie qui lui est propre.”

Paul Meyer, physicien français

Là est bien le débat sur lequel nous allons nous interroger à la lumière des réflexions et apports scientifiques récents.

Les approches philosophiques récentes

« …Exclure la raison, n’admettre que la raison… » est une faute, nous dit Pascal dans les « Pensées ». Au vingtième siècle, le père Teilhard de Chardin, Henri Bergson et Etty Hillesum mêlent raison et intuition dans une conception spiritualiste de l’univers où science et foi ne se contredisent pas. Il est essentiel de noter que ces ouvrages se fondent sur une approche scientifique très en retard par rapport aux sources dont nous disposons. Mais le jésuite/paléontologue, le philosophe et la jeune intellectuelle juive ne pouvaient connaitre au début du vingtième siècle ce que nous savons maintenant et qui a profondément modifié le socle de notre réflexion.

“Nous ne sommes pas des êtres humains vivant une expérience spirituelle, nous sommes des êtres spirituels, vivant une expérience humaine.”

Teilhard de Chardin

La religion dynamique est celle du mystique, hors de toute analyse intellectuelle : “Création signifie, avant tout émotion… Aucune spéculation ne créera une obligation… ; peu m’importe la beauté de la théorie, je pourrais toujours dire que je ne l’accepte pas. Tandis que si l’émotion me pénètre, j’agirai selon elle, soulevé par elle.”
Et le mysticisme nait alors “d’une prise de conscience partielle avec l’effort créateur que manifeste la vie”.

Bergson

“Je retrouvais le contact avec moi-même, avec ce qu’il y a de plus profond en moi et que j’appelle Dieu.”

Etty Hillesum

Ce “plus profond” rapproche la jeune Hollandaise d’origine juive morte à 29 ans à Auschwitz (novembre 1943), de la source du « grand courant de vie » dont, à la façon de Bergson, Etty Hillesum pressent la force créatrice dans laquelle nous baignons.

Deux points de connaissances nouvelles dans le domaine rationnel sont en effet apparus :

  • Le monde de la pensée bénéficie depuis peu d’une meilleure compréhension.

Nous savons en effet que nos idées diffusent dans l’infini des mondes avec leur énergie propre, celle du train d’ondes qui les accompagne, comme en témoignent les expériences de mise en mouvement d’un objet inanimé par l’émission d’une volonté forte (cf. aussi la télépathie). Dans « l’Homme qui parle » comme dans un ouvrage précédent, j’ai appelé « L’Esprit qui Veille » le rassemblement de toutes les pensées conscientes émises depuis l’origine des temps, cet ensemble constituant une immense agrégation d’énergie matérielle et « spirituelle », sans oublier celle qui a peut-être accompagné la naissance de l’univers.

Ici intervient, à l’image de la goutte d’eau rejoignant l’océan tout en conservant sa nature propre, celle de la pensée individuelle se fondant dans l’univers spirituel sans limite qui nous entoure.

La pensée ne se « perd » pas : elle contribue à l’existence globale du monde spirituel. Ainsi « l’âme », concept éternellement fluctuant, peut-elle être considérée comme unique et immortelle parce que regroupant toutes les pensées “spirituelles” émises par un individu depuis sa naissance jusqu’à sa mort.

Ajoutons que, dans cette conception de la pensée, à la fois réceptacle et acteur de l’univers spirituel, chacun reçoit une responsabilité nouvelle, celle d’améliorer au travers de ses idées propres la nature et la cohésion du cosmos. On peut citer à ce sujet l’exemple des communautés religieuses chrétiennes, bouddhistes ou taoïstes, méditant et priant au nom de tous sans bénéficier d’aucune certitude. S’il est vain de vouloir comprendre l’univers immatériel dans sa complexité, nous pensons que l’océan spirituel comporte une plasticiteé et une interactiviteé le rendant apte à s’adapter et à répondre au questionnement des êtres pensants.

Quelle est la puissance de ce monde invisible ? Impossible de le savoir même si son existence ne fait pas de doute comme le montre le pouvoir de la pensée sur certains robots. Notons que les premiers moments du monde semblent avoir été à tous égards « surpuissants » :

  • L’existence d’un Dieu, essence et acteur du monde spirituel n’est pas incompatible avec ces analyses.

L’apparition de la lumière vers l’an trois cents cinquante mille, découverte au travers des expériences très récentes des satellites Cobe et Planck partis à la recherche des premiers moments du monde ouvre des perspectives insoupçonnées. Là où l’origine du monde est en général fixée à 13,6 milliards d’années, le « j’ai cru apercevoir le visage de Dieu » pensée exprimée par Georges Smoot, prix Nobel s’exprimant sur la lumière naissante, vers l’an 350.0000 après le Big- Bang, crée la stupeur. Mais c’est aussi le cas d’Albert Einstein raisonnant par anticipation sur ce qui allait advenir ou de Freeman Dyson, de Burton Richter sans oublier Paul Dirac ou Stephen Hawkings. Il est clair que nous dépassons là l’analyse rationnelle.

“Tous ceux qui sont sérieusement impliqués dans la science finiront par comprendre qu’un Esprit se manifeste dans les lois de l’univers, un Esprit immensément supérieur à celui de l’homme.”

Albert Einstein — Lettre à un enfant, 1936

“En tant un scientifique éduqué dans le mode de pensée et le langage du XXème siècle et non du XVIIème, je ne prétends pas que l’architecture de l’univers prouve l’existence de Dieu, je dis seulement que cette architecture est compatible avec l’hypothèse selon laquelle « l’esprit » joue un rôle essentiel dans le fonctionnement de l’univers. Je pense que l’univers tend vers la vie et la conscience et qu’il a du sens parce que nous sommes là pour l’observer et appréhender sa beauté harmonique. Mais j’insiste sur le fait qu’il s’agit là d’un pari métaphysique et non d’un strict raisonnement scientifique. […] Plus j’analyse l’univers et étudie les détails de son architecture, plus je rencontre de preuves selon lesquelles dans un certain sens l’univers savait que nous allions apparaitre. Il y a plusieurs exemples saisissants au sein des lois de la physique nucléaire d’accidents numériques qui semblent conspirer pour rendre l’univers habitable.”

Freeman Dyson, scientifique anglo-américain proche de Paul Dirac et de Stephen Hawking

L’existence d’une force fondatrice semble donc bien apparaitre à l’horizon. L’on peut s’interroger à ce sujet sur la nature de l’énergie noire qui oblige le monde à l’expansion continue alors que la force de gravitation devrait l’amener à s’effondrer sur elle-même.

L’expérience semble enfin affirmer que la « polarité globale » du monde est positive et que la notion de « bien » est éternelle et générale. C’est ce qu’affirme la « règle d’or », éthique de réciprocité, de solidarité et d’acceptation de l’autre dont le principe fondamental est énoncé dans presque toutes les grandes religions et cultures. « Ne fais pas aux autres ce que tu ne voudrais pas qu’on te fasse » constitue une forme de morale universelle qui se retrouve aussi bien dans l’humanisme athée que dans les religions orientales, proche- orientales ou occidentales, ou encore dans les préceptes philosophiques de l’Egypte antique et de l’Antiquité grecque. Ajoutons que la polarité positive évoquée se constate avec l’effondrement final de toutes les utopies meurtrières (Inquisition, nazisme, stalinisme) même si entre le « bien » et le « mal » la lutte est toujours ouverte. Mais, surtout, ces allées et venues, positives ou négatives entre « bien » et « mal » se traduisent in fine par l’amélioration continue de nos connaissances, l’élévation sans fin de celles-ci semblant être un objectif mystérieux assigné à l’être humain avec ses effets heureux (pénicilline, énergie atomique…) et malheureux (guerre bactériologique, bombe nucléaire…), en attendant demain la conquête de l’espace qui va ouvrir des horizons entièrement nouveaux et métaphysiquement passionnants.

Cela dit, la nature de la force créatrice mettant l’univers en mouvement restera pour toujours mystérieuse et le grand carrousel des mythes et des religions est là pour répondre à l’inquiétude métaphysique des hommes.

“Le problème métaphysique est avant tout l’effroi devant l’inconnu essentiel et cet effort consiste à spiritualiser le mystère en en créant une image symbolique susceptible de donner un appui et un but directif a l’imagination afin de sublimer l’effroi en le transformant en un instrument de confiance. C’est cet effroi sublimé, transformé en adoration qui caractérise le sens religieux et c’est le mystère essentiellement inexplicable, l’essence mystérieuse de la vie, qui de tout temps a été symboliquement appelé « le divin ».”

Paul Diel — Science et foi

Où en est l’histoire des mythes et religions ?

Dans cette saga qui a commencé avec l’être préhistorique, reposons-nous la question de savoir comment ces mythes et religions répondent à notre angoisse présente. Les grands « éveilleurs » de l’humanité qu’ont été́ les divers prophètes des trois plus grandes religions et des trois philosophies mondiales d’aujourd’hui : judaïsme, chrétienté, islam pour les premières, taoïsme, hindouisme, bouddhisme pour les secondes, ont tous témoigné de leur foi, plus ou moins affirmée, s’agissant de la cause première et des fins dernières. Toutes ou presque ont manifesté, rappelons-le, une grande unité de vues en matière de morale ; mais la question pour nous est aussi en cette période de mutations accélérées, celle, de la liberté individuelle, de la tolérance et de l’absence de prosélytisme meurtrier.

On ne peut à ce sujet que condamner toutes les révélations autoritaires appelant l’homme à une soumission contraire à sa nature même et réduisant ses croyances à une vision esclavagiste contraire à tout progrès spirituel. Tel est bien le problème de tous les intégrismes religieux et en particulier celui de l’islam fondamentaliste de notre époque.

Conclusion : un nouveau « sens » pour notre époque

L’existence de « L’Esprit qui Veille » dont j’ai précisé quelque peu les contours dans diverses analyses, en particulier dans l’ouvrage du même nom (cf. Michalon 2013), comme dans « L’Homme qui Parle » (P.G. de Roux 2019) et les découvertes récentes en matière d’origine de l’univers semblent pouvoir constituer une voie d’union dans la découverte du « sens » sans lequel toutes les dérives meurtrières sont possibles. Cette voie d’union constitue le socle d’une prise de conscience amenant chacun à dépasser sans les renier ses croyances d’origine.

Pour dire les choses autrement, le « sens » tel qu’ainsi défini ne saurait constituer une « foi » au sens religieux du terme, mais l’acceptation intime d’un processus de dépassement nécessaire et motivant pour l’homme d’aujourd’hui. Il ne demande pas l’abandon d’aucune croyance préexistante, il fournit une voie de dépassement appuyée sur les prodigieuses mutations que nous vivons. Une révélation n’est pas nécessaire pour accepter ces constatations. Et pour citer à ce sujet « L’Homme qui parle » :

“En matière spirituelle, il ne sera pas possible de se contenter du legs de nos aïeux. À contexte si fortement neuf, vision nouvelle. L’être humain se défera dans l’angoisse et la terreur s’il ne peut s’appuyer sur une conscience rénovée de son rôle dans les cieux infinis qui l’attendent.

Et cette conscience nouvelle, prix de sa pérennité en tant qu’être pensant et agissant, ne demandera nullement l’abandon du passé, elle demandera seulement de sublimer ce dernier pour vivre et progresser dans la froide lumière de l‘univers de demain.”

L’Esprit qui Veille constitue donc pour nous, redisons-le, une proposition qui n’exclut pas les religions passées mais qui suggère une voie de dépassement.

Quelle est donc la place de l’auteur de ces lignes dans tout cela ? Peut-être celle du guetteur formé dans les grands espaces naturels et recherchant la présence de l’Esprit face à un monde déboussolé…

Quelques mots pour finir

Trois grands axes me semblent pouvoir être mis en avant qui ne demandent ni excès d’affirmation ni reniement :

  • Le premier, celui de la paix, paix personnelle et paix collective dans un ensemble aujourd’hui abandonné à sa cruauté naturelle et prédatrice,
  • Celui de la confiance, ensuite, face à un monde dont les mutations viennent tout juste de commencer et qui vont aller s’accélérant. Nous ne devrons jamais désespérer devant l’univers qui vient,
  • Celui du courage enfin face à ce qui dépasse et dépassera encore plus demain les frontières de notre être physique et moral. Il en faudra beaucoup aux hommes pour affronter les problèmes qui les attendent.

Partager, faire partager le message d’espoir est sans doute le plus important. Telle est en tous cas ma conviction face aux doutes et incertitudes qui nous entourent.

Gilles Cosson, conférence donnée à l’espace Orsay le 25/01/2020


Notes

¹ Voir en particulier: A new study, released by the Economic Policy Institute (EPI) , found that the ratio of CEO-to-worker compensation was 278-to-1 in 2018, up from a ratio of 58-to-1 in 1989.

² De toutes les situations d’exil politique, celui des Allemands quittant leur pays d’origine entre 1933 et 1940 sous la pression du nazisme se distingue par le nombre d’artistes choisissant de se réfugier à l’étranger pour échapper à une situation qui menace leur art et leur vie. C’est l’occasion de réfléchir aux menaces qui pèsent sur la qualité d’une culture face à la perte de l’idiome local. On peut noter à ce sujet les difficultés éprouvées par Rainer Maria Rilke pour versifier en français, langue dont il ne maitrisait pas la substance intime.

Les phraseurs

Faire court ou faire long, là est la question… réflexions sur les formats de la parole politique pendant cette période de crise.

Il y a ceux qui comme Clemenceau et ses célèbres formules : « On les aura » ou « il est plus facile de faire la guerre que la paix », ont un ton naturellement martial. Il y a les ordres du jour de Napoléon : « De ces pyramides, cinquante siècles vous contemplent » ou « Un chef n’est rien sans ses hommes ». Ceux-là pensent que la force d’une idée est d’autant plus grande qu’elle est exprimée brièvement. Plus récemment, on peut citer aussi le général de Gaulle disant « la France a perdu une bataille, mais elle n’a pas perdu la guerre ». Ce genre de phrases créé un choc et c’est pour cela qu’elles frappent ; c’est aussi pour cela que la postérité les retient…

Il me semble que s’agissant des hommes qui ont laissé un nom à l’histoire, on trouve presque toujours des êtres qui n’ont pas besoin de beaucoup de mots pour dire l’essentiel. Pensons aussi à Churchill résumant sa pensée dans sa célèbre déclaration à la chambre des Communes après les accords de Munich : « Vous avez eu à choisir entre la guerre et le déshonneur, vous avez choisi le déshonneur et vous aurez la guerre ».

Bref et c’est le cas de le dire, la grandeur apprécie les symboles et aime la brièveté. La discrète croix de Lorraine voisine avec les modestes deux étoiles d’un grand chef qui se confiant à André Malraux ajoute « Les choses capitales qui ont été dites à l’humanité ont toujours été des choses simples. » …

Il me semble qu’avec ces formules tout est dit sans qu’il soit besoin de répéter vingt fois que « nous sommes en guerre » ce qui est à la fois excessif et inutile, ou de revenir sans cesse aux difficultés du moment que tout le monde a dans les tripes.

On l’a compris : s’il est un conseil à donner à ceux que guette le verbiage, c’est d’aller à l’essentiel en quelques mots, ce qu’a bien su faire la reine d’Angleterre malgré ses quatre-vingt-treize ans. Notre époque est celle du bavardage, pour ne pas dire de la parlotte. Pourtant les Français aiment le langage viril, car c’est le fond de leur caractère. La télévision, trop souvent bavarde, la répétition sans fin des mêmes idées fatigue. On écoute les dix premières phrases, puis on baisse le ton et enfin, on éteint le poste.

Il convient de choisir sa cible. Si l’on est devant un parterre de penseurs ou de philosophes, l’on peut se permettre d’être disert, mais lorsque l’on s’adresse à un peuple et plus encore à un peuple indiscipliné par nature, il vaut mieux s’interrompre à temps si l’on ne veut pas perdre la face.

Et, pour revenir à Clemenceau :

« Les journalistes ne doivent pas oublier qu’une phrase se compose d’un sujet, d’un verbe et d’un complément. Ceux qui voudront user d’un adjectif passeront me voir dans mon bureau. Ceux qui emploieront un adverbe seront foutus à la porte. »

Il est curieux de constater que dans cette triste affaire du coronavirus, c’est le contraire qui semble avoir été fait : longues explications de texte, discours fumeux, rencontres aussi nombreuses qu’inutiles.

Ah, j’oubliais une chose : les grands hommes aiment le secret, ce qui leur permet de garder toujours quelques armes au feu. À trop dire, le chef se prive de tout ce qu’il aurait pu dire, ou de ce qu’il dira le jour venu lorsque les circonstances auront changé. Il n’est jamais bon d’abattre toutes ses cartes d’un coup…

Nous y sommes. Et comme dit la sagesse populaire, le reste n’est que littérature.

Résiste !

On était en plein coronavirus. L’atmosphère était pesante. Dans la rue, personne, et ailleurs pas grand monde… Dehors parfois une sirène annonçant le chemin d’une réanimation. Pas gai !

Quand ce cauchemar allait-il finir ? Dans longtemps en tout cas et cela ne contribuait pas peu à l’énervement général. Pouvait-on vraiment vivre ainsi, plongé dans une torpeur obligée ? Il était possible d’en douter…

Et l’espoir dans ce magma ? L’espoir de quoi au fait ? Aller librement, retrouver les copains, prendre un ticket de cinéma, flâner dans les rues, aimer une inconnue ? Fermé tout cela, vous dis-je ! Plante-toi devant ta télé, appelle tes amis au téléphone, prend connaissance de nouvelles plus lugubres les unes que les autres, sombre attente !

Pourtant, ce matin-là, un voisin plein d’imagination, né aux États-Unis, patrie de l’optimisme, avait eu une initiative sympathique : pourquoi ne pas chanter ensemble dans les rues, à bonne distance les uns des autres, bien sûr, mais chanter quand même : l’espoir vous dis-je… Il avait élu avec d’autres un air bien connu, avec des paroles de Michel Berger, et France Gall au micro.

Donc il était sept heures du soir et les voisins s’étaient réunis sans y croire vraiment. Nous avions tous reçu les paroles et deux haut-parleurs énormes avaient été installés près de nos fenêtres.

Étrange atmosphère que celle d’une rue pleine de vide ; tous ces hommes et ces femmes, éloignés chacun d’au moins deux mètres, s’observaient avec étonnement. Ce Monsieur en anorak, n’est-ce pas M. X…, gérant de l’épicerie voisine et cette dame en jupe, n’est-ce pas la pharmacienne du coin ? Mais oui, c’était eux ! Et cette figure féminine au beau visage qui m’a adressé un sourire, ne l’ai-je pas rencontrée souvent sur le chemin du métro ? Bien sûr que si ! Quel dommage de ne pas avoir fait l’effort de mieux la connaitre ?

Mais la sono démarre avec un bruit assourdissant. Et les paroles se suivent, répétées par des êtres qui oublient leurs peines :

Tant de libertés pour si peu de bonheur
Est-ce que ça vaut la peine
Si on veut t’amener à renier tes erreurs

Résiste !
Si tu réalises que l’amour n’est pas là
Que le soir tu te couches
Sans aucun rêve en toi

Résiste !

Une émotion étrange me prend : pourquoi chantent-ils ? Et nous qui ne chantons pas, pourquoi écoutons-nous ? Une affreuse tristesse m’envahit : c’est la romance au milieu des ruines, ce couplet. …

Mais n’est-ce pas aussi un cri d’espoir qui se fait entendre ? N’est-ce pas la meilleure façon de refuser la morosité, d’affirmer sa foi en l’avenir, comme l’ont affirmé autrefois tant de résistants résolus !

J’observe mes voisins. Ils ont un visage plein de bonheur. Est-il besoin de dire pourquoi ? Ils chantent parce qu’ils aiment la vie qui leur a été donnée, cela d’autant plus qu’ils assument le risque de leur disparition… Envers et contre tout, ils sont là et c’est ce qui compte. Les regards et les voix ne s’observent plus, ils convergent dans une communion inattendue. Non, vous n’aurez pas notre vie, nous refusons le découragement, nous sommes là pour croire dans l’avenir.

Divers voisins plus lointains montrent un bout de nez ; cette musique, cette gaité, d’où viennent-elles ? Comme elle nous fait du bien ! Comment avons-nous pu oublier la solidarité qui nous lie ? Ne sommes-nous pas tous des hommes, avec leurs peines et leurs joies, avec leurs folles espérances et leur aveuglement abyssal ? 

La sono s’arrête. Les gens s’observent avec un regard en coin ?  Ont-ils changé ? Le temps d’une chanson imprévue et d’une réunion fraternelle, sans doute. Et demain, alors ?

Demain et quoi qu’il arrive, ce moment restera, avec sa fraternité inattendue et ce rayon lumineux passé au milieu de nous. Il faudra recommencer. Et merci à tous ceux qui sont venus se convaincre que la vie finit toujours par gagner, les enfants par grandir et tomber amoureux, les généreux par donner le peu qu’ils ont, les hommes d’argent par mourir comme les autres…`

N’est-ce pas cela l’idéal que nous portons en nous et qui triomphe si rarement.

Résistons !

Bravo, l’Américain !

Pour qui sonne le glas ?

 – En avant toute ! Telle est la formule que nous aimerions laisser à l’histoire ! Vers quoi, vers où ? Je ne le sais pas plus que vous… Des pistes d’aéroport par centaines, des autoroutes par milliers, des bateaux de croisière de trois mille passagers dans des cabines exigües, des voitures faites pour rouler à deux cents à l’heure et cantonnées par les règlements à cent trente, des déchets alimentaires monstrueux jetés à la poubelle, la liste est longue…

– Mais, cher ami, cette présentation est trop facile, nous aurions voulu, nous aussi, prendre le temps, évaluer les conséquences de nos actes. Cela dit, comment y parvenir, dites-moi un peu ? Les pays à faible coût nous obligeaient à licencier pour diminuer nos charges, les sociétés d’investissement exigeaient un rendement financier toujours supérieur, le consommateur en voulait toujours plus pour le même prix, comment aurions-nous pu agir autrement ? Un exemple ? Mon voisin de palier dirigeait une petite boite, basée sur la sécurité informatique dans les grandes entreprises. Eh bien, un hacker a réussi depuis Dehli à percer son système : en un mois, il a dû mettre la clef sous la porte ! Alors ?

– Peut-être le coronavirus était-il nécessaire après tout, pour remettre les pendules à l’heure…

– Comment cela, nécessaire, vous êtes fou ? Comment payer ceux qui s’arrêtent de travailler parce qu’ils ne veulent pas œuvrer sans masque ? Et des masques, jusqu’à hier, il n’y en avait pas… Comment verser les dividendes attendus par ceux qui ont investi dans nos entreprises ? Cela me fait une belle jambe de savoir qu’il est impossible d’offrir à tous le niveau de vie des Occidentaux sans faire sauter la Terre entière !

– Écoutez ! J’ai bien connu comme vous le monde des affaires. Là règne en maitre le triptyque de l’argent, du pouvoir et du sexe, chacun commandant l’autre ! Et vogue la galère … Mais si vous ne parvenez pas à faire comprendre aux puissants qu’un excès de luxe ne les mène nulle part, que céder aux attraits du sexe à tout va peut les conduire en prison, que jeter aux plus pauvres un regard méprisant est une faute contre l’esprit, nous n’en sortirons jamais !

                – Et comment comptez-vous réformer le monde, Monsieur le discoureur ? Croyez-vous que les moteurs essentiels de l’homme puissent être changés alors que le veau d’or régnait déjà voici deux-mille ans sur les puissants de l’époque ?

– Non, les ressorts éternels de l’humanité sont toujours là, je dis simplement que les limitations de Roosevelt au pouvoir financier des plus aisés, la discipline des Britanniques acculés à combattre les nazis, les lois sociales du général de Gaulle, sont nées des drames de la dépression et de la guerre, mais aussi du besoin de solidarité que nous éprouvons tous. Et nous portons ces qualités, il suffit de les redécouvrir. N’est-ce pas à cela que servent les difficultés ? Les dix pour cent les plus riches détiennent dans le monde une fortune équivalente aux quatre-vingt-dix pour cent restants. N’est-ce pas une stupidité ?

– Admettons.  

 -À l’heure où un matérialisme démesuré a pris le pouvoir sur la planète, il faut rendre à l’immatériel la mesure qui lui revient. Nous devons rester réalistes et pourtant demander l’impossible : réalistes car il est vain de réfléchir dans l’abstrait, il faut garder le contact avec le vivant, il faut redonner toute leur place aux valeurs essentielles dont le sentiment national fait partie, celles qui ont fait de nous ce que nous sommes. Mais le temps est aussi venu de promouvoir les esprits éclairés. Que nous disent ceux d’aujourd’hui ? Ils nous disent que le monde entre dans une phase dangereuse dont son extinction même fait partie, ils nous disent que si la liberté de chacun doit être respectée, la redistribution constitue une nécessité absolue et l’éducation des plus pauvres une obligation impérative ; ils nous disent qu’il ne faut pas renoncer à nos traditions, ressort suprême des nations, mais qu’il ne faut pas oublier les valeurs éternelles de solidarité et de fraternité. Est-ce cela demander l’impossible ? Tout cela ne peut pas réussir sur un signe du doigt, bien sûr, mais l’ONU, utile quoi qu’on en dise, est née des horreurs des deux guerres et un autre conflit mondial a été évité grâce à elle.

– Vous y croyez encore, à ce machin ?

– Je pense qu’il ne serait pas inutile de créer une instance consultative mondiale où serait analysées un certain nombre d’idées simples : éducation renforcée pour tous, partage des excès de richesse, aide directe aux plus démunis ? N’était-ce pas déjà l’idée du club de Rome au début des années 70 ?*

Pourquoi un « comité des sages » réunissant les meilleurs esprits de l’époque ne pourrait-il tenter d’infléchir une évolution globale qui nous conduit tous à la ruine et à la disparition ?

                Le glas commence à sonner à l’échelle de l’humanité toute entière… Il sonne, vous dis-je, ne l’entendez-vous pas ? Alors, qu’attendons-nous ?

Surpopulation, Inégalités, hyperfinanciarisation, Sous-industrialisation

Quel peut bien être le rapport entre le coronavirus et les quatre axes cités ci-dessus ? Comment un petit corps étranger peut-il envahir des sphères jugées sans communication entre elles, les secouant durement à cette occasion ?

Et pourtant… Là où la population du globe augmente sans rime ni raison, là où les vingt-six citoyens les plus riches du mode détiennent autant d’argent que les cinquante pour cent les plus pauvres du  globe, là où l’hyperfinanciarisation aboutit à l’exclusion de pans entiers de notre économie, là où nos gouvernements se trouvent à court d’idées après avoir englouti des milliards  à aider des islamistes n’ayant aucune envie de s’intégrer, la mondialisation galopante d’un petit animal invisible suffit à supprimer bien des certitudes.

Revoyons cela ! Terrain des plus pauvres, la surpopulation crée une vie foisonnante, mais terriblement vulnérable à l’épidémie actuelle. Les inégalités abusives, elles, s’affirment comme la recherche dérisoire d’une domination, voire d’une éternité, réservée à quelques-uns. Quant à l’hyperfinanciarisation, elle, ne pourrait pas prospérer sans les failles de lois exagérément poreuses : Gafas m’entendez-vous ? Et, pour clore le tout, la désindustrialisation de pans entiers de notre économie tient aux abus d’un libéralisme éhonté, tuant au passage traditions et vivre ensemble.

Voilà une belle façon de nous rappeler notre insignifiance. Bref, le coronavirus est à la fois cause et effet. Cause parce qu’il parvient sans la moindre publicité à faire sauter des digues entières de stabilité sociale, mais aussi parce qu’il aurait été freiné autrefois par des frontières aujourd’hui grandes ouvertes. Effet, parce que la surpopulation semble lui être favorable. À l’image des rats dans une cage trop étroite, rappelons-nous la peste du treizième siècle déferlant sur une population jugée trop nombreuse pour l’époque.

 Ne faudrait-il pas agir par tous les moyens, y compris coercitifs – ce que la Chine a fait en son temps – pour faire prendre conscience à l’Afrique et à quelques autres des limites d’absorption d’un continent jetant par-delà ses rives des malheureux sans espoir ? Ne conviendrait-il pas de faire comprendre aux vingt-six fortunes évoquées plus haut que cela ne peut durer ainsi – rappelons-nous les lois antitrust au début du vingtième siècle à l’égard de Mrs Vanderbilt et Rockefeller – ? N’est-il pas temps d’arrêter les folies qu’ont engendré à partir des années Reagan l’abolition de plusieurs limitations boursières, permettant ainsi à la finance d’agir de façon liberticide ?  Ne devrions-nous pas admettre, enfin, que la production de nombre de biens indispensables, médicaments par exemple, coûte plus cher en France qu’en Extrême Orient, mais que c’est le prix de notre indépendance économique et culturelle. Colbertisme, diront certains, capitalisme national diront d’autres, tout cela doit se gérer avec sagesse, mais n’est-ce pas ce qu’une discrète préférence allemande pratique depuis Bismarck, n’est-ce pas ce qu’avaient décidé Pierre Messmer ou Georges Besse organisant la mise en route du programme nucléaire français pour contrebattre la domination pétrolière des États du Golfe…

                                             *

Il est grand temps de se reprendre. Bien financé au départ par les augures des organisations internationales, sans oublier quelques conseillers intimes en communication, Emmanuel Macron, a cru que la route serait facile…

Mais elle ne l’est pas. Par-delà la révolte des gilets jaunes : « Ceux qui roulent en diesel et qui fument des clopes », disait certain thuriféraire, par-delà une fermeture de Fessenheim inappropriée, ou des reculades fâcheuses à l’instar des régressions successives sur la retraite pour tous, l’on ne compte plus les drames suscités par la pensée unique.

Est-ce là la bonne façon de s’affirmer comme un indiscutable chef ? Lorsque de Gaulle, envers et contre tous décidait du destin de la France sans écouter Mr Roosevelt, lorsque tant de voix autorisées affirment les dangers d’un salafisme rétrograde, l’on n’entend qu’une faible musique qui s’efforce de ne blesser personne et de plaire à tout le monde. Mais le coronavirus, lui, se charge de remettre les pendules à l’heure, oubliant l’ultra-libéralisme des uns et la voix étouffée des Français silencieux que nous sommes devenus. Monsieur le Président, est-ce donc cela la voix de ceux qui ont laissé un nom à l’histoire ? 

La chronique Livr’arbitre – Une époque formidable – par Jérôme Régnault

PRÉSENT LITTÉRAIRE
12 Présent – Samedi 7 décembre 2019
La chronique de Livr’arbitres
Une époque formidable

DEPUIS LE ROMAN La Route de Cormac McCarthy, la littérature postapocalyptique a, semble-t-il, acquis ses lettres de noblesse ou tout au moins connu un certain regain d’attractivité. Echo d’une angoisse sourde, pro- drome d’une époque troublée, la fin des temps est plus que jamais d’actualité.
Gilles Cosson nous livre un poignant ro- man ayant pour toile de fond cette fin du monde. Mais loin d’être un énième récit survivaliste pour amateur de science-fiction, c’est d’abord et avant tout un conte philosophique, où chaque élément du ré- cit est une métaphore de notre inconscient culturel. Le héros, père de famille, entreprend, dans un monde ravagé par un incendie nucléaire, une quête vers un ail- leurs où, semble-t-il, subsisterait un groupe organisé, promesse d’un territoire où l’humanité serait encore présente. Cette pérégrination, faite de rencontres multiples, est autant d’étapes jalonnant ce qui est une véritable initiation existentielle. Le héros découvre une société de petits hommes, sortes de simili- Hobbits, soumis à un étrange pouvoir dictatorial ayant une logique élitiste, dé- nué de tous sentiments jugés hérétiques.


Un pouvoir qui siérait bien aux univers d’Orwell ou d’Huxley. Epurant son récit de tout marqueur historique – point de raison au conflit nucléaire, le héros n’a pas de nom attitré –, Cosson nous dé- ploie une suite de paraboles dans une quête ayant les codes du roman d’aventures mâtinée de fantastique. Pour le prix de deux places de cinéma, vous en aurez largement pour votre argent, Cosson ayant un réel talent de narrateur, on est très vite happé par le souffle de l’histoire.
Certes, une première lecture nous inviterait à une métaphore critique du système soviétique, cela va de soi. Mais si l’on y regarde de plus près, Gilles Cosson nous parle d’ un monde où l’ idée de foi, de transcendance plus généralement est proscrite et bannie au profit d’un tropisme hyperscientiste, froid, calculateur et ultrarationnel… bref, notre époque, dans toute sa splendeur, ou du moins notre Occident tel qu’il est au- jourd’hui véhiculé et promis à la terre entière.


A cela, Gilles Cosson nous délivre un court essai en postface sur sa vision des temps qui viennent, où l’idée de Dieu lui semble nécessaire, vitale mais sans contingence dogmatique. Une spiritua- lité qui doit nous accompagner afin de refréner les fureurs technoscientistes de l’homme, une sorte de syncrétisme per- mettant un équilibre entre forces spirituelle et matérielle dont le taoïsme, de
par sa plasticité pragmatique, lui paraît être un certain idéal.
Bien sûr cette problématique entre raison et croyance est vieille comme une dissertation de philo mais ne boudons pas notre plaisir tout de même.

l Gilles Cosson, L’Homme qui parle, Editions Pierre-Guillaume de Roux, 2019. w 

Assez de mauvaises excuses !

Libre opinion : le nouvel économiste 06/06/2016

S’il est un domaine où règne le bouc émissaire cher au regretté René Girard, c’est bien celui de l’euro.

Gilles Cosson : ancien membre du directoire de Paribas, dernier livre paru : Debout citoyens : contre la décadence !

Au fil de nos déceptions, la monnaie unique est devenue le réceptacle de nos mauvaises humeurs, pour ne pas dire le coupable idéal responsable de tous nos malheurs : à entendre ses détracteurs, chaque année plus nombreux, une bonne dévaluation et tout irait beaucoup mieux. C’est justement ce que l’euro nous interdit de faire…

Toute l’histoire économique française est faite de ces coups de pouce ingénieux qui, de la « dévaluation compétitive » (version de droite) à « l’euthanasie des rentiers » (version de gauche) satisfont sournoisement nos hommes politiques L’on y trouve le parfait résumé de nos hypocrisies et de nos lâchetés.

Certes laisser glisser sa monnaie aboutirait pour un temps, bref, à « donner de l’air » à nos industries exportatrices en diminuant artificiellement le prix de nos produits, mais si elle n’était pas accompagnée immédiatement d’une cure d’austérité diminuant nos coûts structurels, il ne pourrait s’agir que de ce que la sagesse populaire appelle « un emplâtre sur une jambe de bois » pour ne pas parler de purs soins palliatifs. Les prix ne tarderaient pas à monter, les économies des épargnants à fondre, et tout serait à recommencer, déception garantie en sus.

La monnaie unique a été crée, entre autres raisons, pour nous obliger à ajuster nos coûts de production face à nos concurrents de la zone euro d’abord, à ceux des économies émergentes ensuite.

Il s’agissait d’une discipline sévère faisant apparaître sans appel possible toute dérive et rendant impératives les mesures de correction. Hélas ! Dans la meilleure tradition française, notre pays, loin de mettre de l’ordre dans ses superstructures administratives dont le poids répercuté grève nos produits d’une insupportable surcharge, s’est contenté du « laisser aller » habituel quand il n’a pas fait l’inverse de ce qu’il fallait faire en développant de façon irraisonnée la fonction publique territoriale et autres molochs à l’appétit illimité.

Le résultat est là : les mesures nécessaires n’ont pas été prises, tout au contraire, et un long gémissement s’élève qui fait porter à l’euro le poids de tous nos maux. Mais regardons les choses en face : la responsabilité est nôtre. De plus, si nous quittions la monnaie unique pour dévaluer, le crédit de la France serait mort pour longtemps et la spirale des prix s’enclencherait aussitôt, réduisant rapidement à néant l’effet bénéfique de la dévaluation.

La vérité est que nous devons attaquer le problème à sa base : pour rendre nos produits compétitifs, il faut leur restituer une structure de coûts raisonnable. Il nous faut travailler mieux avec des moyens réduits, il faut retrousser nos manches face à des concurrents qui nous regardent goguenards avec l’intention avérée de ne nous faire aucun cadeau.

L’euro n’est qu’un alibi, un mauvais alibi. C’est si vrai que même les Grecs pourtant sévèrement touchés par la remise en ordre de leur économie rendue nécessaire par des dépenses publiques inconsidérées, ne veulent pas en sortir.

2 commentaires sur “Assez de mauvaises excuses !”

  1. Théophile dit : 07/06/2016 à 17 h 43 min La TVA sociale et l’impôt négatif peuvent procurer le même avantage (en mieux car l’épargne n’est pas nécessairement dévaluée)

La faillite, l’inflation ou la guerre

le nouvel économiste 2012

Nos vieux pays européens entrent dans la mondialisation à reculons, pleins d’angoisse devant une révolution à laquelle rien ne les a préparés…

là où la chute de Rome avait été précédée par l’avènement du christianisme, là où la révolution française était fille de l’Encyclopédie et le séisme bolchevique enfant spirituel du marxisme, la révolution mondialiste n’est si l’on peut dire « fille de personne ». Aucune philosophie structurante pour accueillir les débris de nos civilisations fatiguées ! Comme disait en son temps Gramsci : « le vieux monde ne veut pas mourir et le nouveau tarde à naître ». Le constat est inquiétant.

Faisons ensemble le tour des solutions envisageables :

1/ La faillite ne déplairait pas aux tenants actuels de l’extrême gauche. Elle éliminerait une bonne part des possédants tout en ruinant à coup sûr tous les épargnants. Je crois entendre le « bien fait ! » des thuriféraires de cette solution radicale. C’est la technique utilisée par l’URSS naissante dont elle n’a pu sortir qu’en affamant son peuple par des exportations de grain pour payer cash ses achats de machines. Mais c’est oublier qu’un pays qui a fait défaut ne s’en remet pas avant de très longues années. Et il faut être bien fou pour penser que le niveau de vie des plus pauvres en sortirait grandi. La faillite argentine quoi qu’on puisse en dire, n’est pas rassurante sur ce point. Encore ne s’agissait-il que d’un pays « moyen » dont les conséquences de la banqueroute ont pu être limitées… Le krach d’un grand pays aurait, lui, des conséquences incalculables.

2/ L’inflation : D’autres prônent la relance keynésienne à la Roosevelt : lancer de grands travaux d’intérêt général en empruntant davantage mais en mutualisant les dettes, ce que les Etats européens les plus sérieux contestent à bon droit. Rappelons à ce sujet quelques vérités utiles :

Là où la France et l’Angleterre sortent ruinées de la guerre de 14, les U.S.A. de l’époque sont riches. En 1929, on estime le taux d’endettement fédéral à environ 25% du PIB. Rien à voir avec les 100 à 110% d’aujourd’hui ou les 85% (chiffre moyen) de l’Europe. De plus les « smoke stack industries », disons les grands secteurs manufacturiers, sont encore intégralement présents sur le sol américain. Il est donc possible d’appuyer sur le levier relance par l’endettement au profit des usines locales là où l’Amérique actuelle a perdu des pans entiers de son outil industriel. Le fait est que la relance par la consommation (crédit à taux zéro etc.), profite largement au reste du monde sans doper beaucoup la croissance intérieure. Il y faudrait une politique beaucoup plus protectionniste permettant aux U.S.A. de remettre en route leurs chantiers navals, leurs usines sidérurgiques etc. Mais il est bien tard pour cela car ses créanciers ne l’entendraient pas de cette oreille et l’Amérique ne peut les ignorer sous peine de mesures de rétorsion ravageuses.

Si l’on admet que la dévaluation unilatérale, euphorisante à court terme, est impossible au sein de la zone euro et qu’une croissance forte est sans doute écologiquement insupportable à l’échelle mondiale, le niveau de la dette actuelle ne saurait donc être stoppé et plus encore diminué (en % du PIB) que par un seul moyen: l’inflation. Osons un pronostic :

Les Etats-Unis, Obama ou Romney, peu importe, vont continuer à faire tourner la planche à billets. La dette américaine ne se résorbera pas, tout au contraire. La consommation finira par reprendre, mais l’inflation va alors inévitablement démarrer compte tenu de l’énorme excès de liquidités. Devant ce phénomène, le cri unanime des sociaux démocrates européens sera de réclamer à leur tour la politique de relance qu’ils appellent de leurs vœux avec à la clef une inflation modérée (tout au moins au début). Face à une dévaluation significative du dollar, même l‘Allemagne finira par l’accepter. Cette inflation appauvrira bien sûr l’épargnant petit et moyen mais ce que l’on appelle poétiquement l’« euthanasie des rentiers » contribuera efficacement à diminuer la charge de la dette. C’est là que le déclin de l’Occident se précisera un peu plus (cf. « dans l’ombre de la décadence »).

3/ La guerre enfin a constitué, bien souvent dans l’histoire, l’exutoire à une situation sans issue. Et le poids d’un certain nombre de groupes d’influence américains au premier rang desquels le lobby militaro industriel peut légitimement faire peur : rien de tel qu’un bon conflit pour remettre tout le monde au travail et réveiller le civisme. C’était déjà la tentation de Julien l’Apostat à laquelle il a cédé en engageant la guerre contre la Perse (à propos, un certain G.W. Bush n’est-il pas parti flamberge au vent en Irak et en Afghanistan ?). Et le bruit de bottes que l’on entend du côté républicain, proche des lobbies en question, comme le remue ménage perceptible au Proche Orient, ne laissent pas d’inquiéter. Rien n’interdit de commencer par un bon « tour de chauffe » à l’occasion d’un conflit possible (probable ?) entre Israël et l’Iran en attendant les confrontations plus sérieuses qui ne sauraient manquer de se produire à terme, par exemple avec la Chine dont les stratèges de Washington observent avec appréhension l’ascension foudroyante. Et si, pour éviter le désastre, il fallait faire donner les armes atomiques, alors nous entrerions dans l’inconnu… Mais n’oublions pas que Fidel Castro, tel Stanley Kubrick dans son « docteur Folamour », incitait Nikita Kroutchev à utiliser l’arsenal nucléaire russe pour dénouer la crise de Cuba, ». L’humanité ne dédaigne pas de temps à autre une bonne secousse…

Tout cela n’est guère rassurant mais une chose est certaine : Seule l’avènement d’une philosophie ou à tout le moins d’une voie de recherche structurante, d’essence laïque ou religieuse, peu importe, peut indiquer aux peuples du monde le chemin d’espoir qui leur est si nécessaire. Et à cela, il est grand temps de penser.

Gilles Cosson

Catégories > Libre opinion

Les gilets jaunes: la liberté jusqu’où ?


Réponse à Michel Onfray – Publié dans Boulevard VoltaireL

Qu’il soit permis au modeste écrivain que je suis de contester les certitudes de Michel Onfray. Il place la vertu de courage au-dessus de tout et il a raison. Pas de grande civilisation sans courage individuel et collectif ! C’est bien ce qui a permis à la France sa victoire, aujourd’hui centenaire, dans la première guerre mondiale. Quant au fait que la vertu n’est pas payée de retour, Sénèque rappelait « qu’une vertu sans adversaire se flétrit » : les stoïciens n’y ont jamais vu une raison de ne pas avoir d’enfants. 

Cela dit, Onfray croit-il sérieusement que l’on peut nier la réalité de ce temps ? Croit-il que l’esprit de lucre soit seul à mettre en mouvement les chefs d’entreprise, dupes qu’ils seraient d’une rémunération trop souvent excessive, mais dont ils n’ont jamais le temps de profiter ? Les croit-il aveugles aux souffrances des moins favorisés ? Ses appels au socialisme proudhonien sont-ils vraiment la bonne réponse à l’ampleur des problèmes posés ?

Non, je crois qu’il est une démagogie, consciente ou inconsciente, derrière cette fausse vérité. Je crois que le monde réel, celui de l’appétit de revanche des peuples autrefois dominés, s’impose aux citoyens d’aujourd’hui, comme l’appétit des « Barbares » s’est imposé aux Romains de la décadence. Je crois que l’abandon du dévouement au bien commun, que la soif des plaisirs immédiats, que le poids excessif de l’administration de l’empire, ont puissamment contribué à l’effondrement de la société romaine, comme l’a très bien analysé en effet Lucien Jerphagnon. Et qu’il existe des similitudes avec la situation d’aujourd’hui de l’Occident fatigué est une évidence. De là à en tirer les conclusions qu’en tire Onfray en faveur d’une manière de « girondisme » parfait, il y a une marge. Certes la liberté doit être défendue par tous les moyens, mais ce n’est pas dans on ne sait quelle autogestion généralisée, somme d’individualismes sourcilleux sans support analytique sérieux, que le peuple français trouvera son chemin.

Vouloir nier le monde tel qu’il est relève d’une dangereuse utopie. Ce monde d’aujourd’hui est cruel, c’est un fait, mais vouloir se réfugier dans l’illusoire est un crime. Il faut expliquer inlassablement les vérités qui dérangent, il faut rappeler la dureté des temps, la nécessité vitale des adaptations nécessaires si nous voulons survivre en tant que nation indépendante, il faut le faire avec humilité, mais en sachant que la facilité ne mène nulle part. C’est ce que savent ceux qui tentent d’aller au-delà d’eux-mêmes, navigateurs solitaires, alpinistes de l’extrême, pèlerins de l’impossible. Nous ne pouvons qu’être humbles devant la puissance de la nature comme devant les mouvements tectoniques de la science ou de l’économie. Mais laisser croire à ceux qui cherchent leur chemin qu’ils trouveront la solution dans une liberté individuelle sans contrainte est pire qu’une erreur, c’est une faute. C’est ce que nous ont appris nos vieux maîtres disparus, c’est là le vrai chemin de la vertu romaine, rappelons-nous-en !

Gilles Cosson,  écrivain, auteur de « Et Rome s’enfonça dans la nuit » et de « Cinq Femmes » à paraître le 24 janvier aux éditions Pierre-Guillaume de Roux