Archives de l’auteur : Gilles Cosson

La chronique Livr’arbitre – Une époque formidable – par Jérôme Régnault

PRÉSENT LITTÉRAIRE
12 Présent – Samedi 7 décembre 2019
La chronique de Livr’arbitres
Une époque formidable

DEPUIS LE ROMAN La Route de Cormac McCarthy, la littérature postapocalyptique a, semble-t-il, acquis ses lettres de noblesse ou tout au moins connu un certain regain d’attractivité. Echo d’une angoisse sourde, pro- drome d’une époque troublée, la fin des temps est plus que jamais d’actualité.
Gilles Cosson nous livre un poignant ro- man ayant pour toile de fond cette fin du monde. Mais loin d’être un énième récit survivaliste pour amateur de science-fiction, c’est d’abord et avant tout un conte philosophique, où chaque élément du ré- cit est une métaphore de notre inconscient culturel. Le héros, père de famille, entreprend, dans un monde ravagé par un incendie nucléaire, une quête vers un ail- leurs où, semble-t-il, subsisterait un groupe organisé, promesse d’un territoire où l’humanité serait encore présente. Cette pérégrination, faite de rencontres multiples, est autant d’étapes jalonnant ce qui est une véritable initiation existentielle. Le héros découvre une société de petits hommes, sortes de simili- Hobbits, soumis à un étrange pouvoir dictatorial ayant une logique élitiste, dé- nué de tous sentiments jugés hérétiques.


Un pouvoir qui siérait bien aux univers d’Orwell ou d’Huxley. Epurant son récit de tout marqueur historique – point de raison au conflit nucléaire, le héros n’a pas de nom attitré –, Cosson nous dé- ploie une suite de paraboles dans une quête ayant les codes du roman d’aventures mâtinée de fantastique. Pour le prix de deux places de cinéma, vous en aurez largement pour votre argent, Cosson ayant un réel talent de narrateur, on est très vite happé par le souffle de l’histoire.
Certes, une première lecture nous inviterait à une métaphore critique du système soviétique, cela va de soi. Mais si l’on y regarde de plus près, Gilles Cosson nous parle d’ un monde où l’ idée de foi, de transcendance plus généralement est proscrite et bannie au profit d’un tropisme hyperscientiste, froid, calculateur et ultrarationnel… bref, notre époque, dans toute sa splendeur, ou du moins notre Occident tel qu’il est au- jourd’hui véhiculé et promis à la terre entière.


A cela, Gilles Cosson nous délivre un court essai en postface sur sa vision des temps qui viennent, où l’idée de Dieu lui semble nécessaire, vitale mais sans contingence dogmatique. Une spiritua- lité qui doit nous accompagner afin de refréner les fureurs technoscientistes de l’homme, une sorte de syncrétisme per- mettant un équilibre entre forces spirituelle et matérielle dont le taoïsme, de
par sa plasticité pragmatique, lui paraît être un certain idéal.
Bien sûr cette problématique entre raison et croyance est vieille comme une dissertation de philo mais ne boudons pas notre plaisir tout de même.

l Gilles Cosson, L’Homme qui parle, Editions Pierre-Guillaume de Roux, 2019. w 

Assez de mauvaises excuses !

Libre opinion : le nouvel économiste 06/06/2016

S’il est un domaine où règne le bouc émissaire cher au regretté René Girard, c’est bien celui de l’euro.

Gilles Cosson : ancien membre du directoire de Paribas, dernier livre paru : Debout citoyens : contre la décadence !

Au fil de nos déceptions, la monnaie unique est devenue le réceptacle de nos mauvaises humeurs, pour ne pas dire le coupable idéal responsable de tous nos malheurs : à entendre ses détracteurs, chaque année plus nombreux, une bonne dévaluation et tout irait beaucoup mieux. C’est justement ce que l’euro nous interdit de faire…

Toute l’histoire économique française est faite de ces coups de pouce ingénieux qui, de la « dévaluation compétitive » (version de droite) à « l’euthanasie des rentiers » (version de gauche) satisfont sournoisement nos hommes politiques L’on y trouve le parfait résumé de nos hypocrisies et de nos lâchetés.

Certes laisser glisser sa monnaie aboutirait pour un temps, bref, à « donner de l’air » à nos industries exportatrices en diminuant artificiellement le prix de nos produits, mais si elle n’était pas accompagnée immédiatement d’une cure d’austérité diminuant nos coûts structurels, il ne pourrait s’agir que de ce que la sagesse populaire appelle « un emplâtre sur une jambe de bois » pour ne pas parler de purs soins palliatifs. Les prix ne tarderaient pas à monter, les économies des épargnants à fondre, et tout serait à recommencer, déception garantie en sus.

La monnaie unique a été crée, entre autres raisons, pour nous obliger à ajuster nos coûts de production face à nos concurrents de la zone euro d’abord, à ceux des économies émergentes ensuite.

Il s’agissait d’une discipline sévère faisant apparaître sans appel possible toute dérive et rendant impératives les mesures de correction. Hélas ! Dans la meilleure tradition française, notre pays, loin de mettre de l’ordre dans ses superstructures administratives dont le poids répercuté grève nos produits d’une insupportable surcharge, s’est contenté du « laisser aller » habituel quand il n’a pas fait l’inverse de ce qu’il fallait faire en développant de façon irraisonnée la fonction publique territoriale et autres molochs à l’appétit illimité.

Le résultat est là : les mesures nécessaires n’ont pas été prises, tout au contraire, et un long gémissement s’élève qui fait porter à l’euro le poids de tous nos maux. Mais regardons les choses en face : la responsabilité est nôtre. De plus, si nous quittions la monnaie unique pour dévaluer, le crédit de la France serait mort pour longtemps et la spirale des prix s’enclencherait aussitôt, réduisant rapidement à néant l’effet bénéfique de la dévaluation.

La vérité est que nous devons attaquer le problème à sa base : pour rendre nos produits compétitifs, il faut leur restituer une structure de coûts raisonnable. Il nous faut travailler mieux avec des moyens réduits, il faut retrousser nos manches face à des concurrents qui nous regardent goguenards avec l’intention avérée de ne nous faire aucun cadeau.

L’euro n’est qu’un alibi, un mauvais alibi. C’est si vrai que même les Grecs pourtant sévèrement touchés par la remise en ordre de leur économie rendue nécessaire par des dépenses publiques inconsidérées, ne veulent pas en sortir.

2 commentaires sur “Assez de mauvaises excuses !”

  1. Théophile dit : 07/06/2016 à 17 h 43 min La TVA sociale et l’impôt négatif peuvent procurer le même avantage (en mieux car l’épargne n’est pas nécessairement dévaluée)

La faillite, l’inflation ou la guerre

le nouvel économiste 2012

Nos vieux pays européens entrent dans la mondialisation à reculons, pleins d’angoisse devant une révolution à laquelle rien ne les a préparés…

là où la chute de Rome avait été précédée par l’avènement du christianisme, là où la révolution française était fille de l’Encyclopédie et le séisme bolchevique enfant spirituel du marxisme, la révolution mondialiste n’est si l’on peut dire « fille de personne ». Aucune philosophie structurante pour accueillir les débris de nos civilisations fatiguées ! Comme disait en son temps Gramsci : « le vieux monde ne veut pas mourir et le nouveau tarde à naître ». Le constat est inquiétant.

Faisons ensemble le tour des solutions envisageables :

1/ La faillite ne déplairait pas aux tenants actuels de l’extrême gauche. Elle éliminerait une bonne part des possédants tout en ruinant à coup sûr tous les épargnants. Je crois entendre le « bien fait ! » des thuriféraires de cette solution radicale. C’est la technique utilisée par l’URSS naissante dont elle n’a pu sortir qu’en affamant son peuple par des exportations de grain pour payer cash ses achats de machines. Mais c’est oublier qu’un pays qui a fait défaut ne s’en remet pas avant de très longues années. Et il faut être bien fou pour penser que le niveau de vie des plus pauvres en sortirait grandi. La faillite argentine quoi qu’on puisse en dire, n’est pas rassurante sur ce point. Encore ne s’agissait-il que d’un pays « moyen » dont les conséquences de la banqueroute ont pu être limitées… Le krach d’un grand pays aurait, lui, des conséquences incalculables.

2/ L’inflation : D’autres prônent la relance keynésienne à la Roosevelt : lancer de grands travaux d’intérêt général en empruntant davantage mais en mutualisant les dettes, ce que les Etats européens les plus sérieux contestent à bon droit. Rappelons à ce sujet quelques vérités utiles :

Là où la France et l’Angleterre sortent ruinées de la guerre de 14, les U.S.A. de l’époque sont riches. En 1929, on estime le taux d’endettement fédéral à environ 25% du PIB. Rien à voir avec les 100 à 110% d’aujourd’hui ou les 85% (chiffre moyen) de l’Europe. De plus les « smoke stack industries », disons les grands secteurs manufacturiers, sont encore intégralement présents sur le sol américain. Il est donc possible d’appuyer sur le levier relance par l’endettement au profit des usines locales là où l’Amérique actuelle a perdu des pans entiers de son outil industriel. Le fait est que la relance par la consommation (crédit à taux zéro etc.), profite largement au reste du monde sans doper beaucoup la croissance intérieure. Il y faudrait une politique beaucoup plus protectionniste permettant aux U.S.A. de remettre en route leurs chantiers navals, leurs usines sidérurgiques etc. Mais il est bien tard pour cela car ses créanciers ne l’entendraient pas de cette oreille et l’Amérique ne peut les ignorer sous peine de mesures de rétorsion ravageuses.

Si l’on admet que la dévaluation unilatérale, euphorisante à court terme, est impossible au sein de la zone euro et qu’une croissance forte est sans doute écologiquement insupportable à l’échelle mondiale, le niveau de la dette actuelle ne saurait donc être stoppé et plus encore diminué (en % du PIB) que par un seul moyen: l’inflation. Osons un pronostic :

Les Etats-Unis, Obama ou Romney, peu importe, vont continuer à faire tourner la planche à billets. La dette américaine ne se résorbera pas, tout au contraire. La consommation finira par reprendre, mais l’inflation va alors inévitablement démarrer compte tenu de l’énorme excès de liquidités. Devant ce phénomène, le cri unanime des sociaux démocrates européens sera de réclamer à leur tour la politique de relance qu’ils appellent de leurs vœux avec à la clef une inflation modérée (tout au moins au début). Face à une dévaluation significative du dollar, même l‘Allemagne finira par l’accepter. Cette inflation appauvrira bien sûr l’épargnant petit et moyen mais ce que l’on appelle poétiquement l’« euthanasie des rentiers » contribuera efficacement à diminuer la charge de la dette. C’est là que le déclin de l’Occident se précisera un peu plus (cf. « dans l’ombre de la décadence »).

3/ La guerre enfin a constitué, bien souvent dans l’histoire, l’exutoire à une situation sans issue. Et le poids d’un certain nombre de groupes d’influence américains au premier rang desquels le lobby militaro industriel peut légitimement faire peur : rien de tel qu’un bon conflit pour remettre tout le monde au travail et réveiller le civisme. C’était déjà la tentation de Julien l’Apostat à laquelle il a cédé en engageant la guerre contre la Perse (à propos, un certain G.W. Bush n’est-il pas parti flamberge au vent en Irak et en Afghanistan ?). Et le bruit de bottes que l’on entend du côté républicain, proche des lobbies en question, comme le remue ménage perceptible au Proche Orient, ne laissent pas d’inquiéter. Rien n’interdit de commencer par un bon « tour de chauffe » à l’occasion d’un conflit possible (probable ?) entre Israël et l’Iran en attendant les confrontations plus sérieuses qui ne sauraient manquer de se produire à terme, par exemple avec la Chine dont les stratèges de Washington observent avec appréhension l’ascension foudroyante. Et si, pour éviter le désastre, il fallait faire donner les armes atomiques, alors nous entrerions dans l’inconnu… Mais n’oublions pas que Fidel Castro, tel Stanley Kubrick dans son « docteur Folamour », incitait Nikita Kroutchev à utiliser l’arsenal nucléaire russe pour dénouer la crise de Cuba, ». L’humanité ne dédaigne pas de temps à autre une bonne secousse…

Tout cela n’est guère rassurant mais une chose est certaine : Seule l’avènement d’une philosophie ou à tout le moins d’une voie de recherche structurante, d’essence laïque ou religieuse, peu importe, peut indiquer aux peuples du monde le chemin d’espoir qui leur est si nécessaire. Et à cela, il est grand temps de penser.

Gilles Cosson

Catégories > Libre opinion

Les gilets jaunes: la liberté jusqu’où ?


Réponse à Michel Onfray – Publié dans Boulevard VoltaireL

Qu’il soit permis au modeste écrivain que je suis de contester les certitudes de Michel Onfray. Il place la vertu de courage au-dessus de tout et il a raison. Pas de grande civilisation sans courage individuel et collectif ! C’est bien ce qui a permis à la France sa victoire, aujourd’hui centenaire, dans la première guerre mondiale. Quant au fait que la vertu n’est pas payée de retour, Sénèque rappelait « qu’une vertu sans adversaire se flétrit » : les stoïciens n’y ont jamais vu une raison de ne pas avoir d’enfants. 

Cela dit, Onfray croit-il sérieusement que l’on peut nier la réalité de ce temps ? Croit-il que l’esprit de lucre soit seul à mettre en mouvement les chefs d’entreprise, dupes qu’ils seraient d’une rémunération trop souvent excessive, mais dont ils n’ont jamais le temps de profiter ? Les croit-il aveugles aux souffrances des moins favorisés ? Ses appels au socialisme proudhonien sont-ils vraiment la bonne réponse à l’ampleur des problèmes posés ?

Non, je crois qu’il est une démagogie, consciente ou inconsciente, derrière cette fausse vérité. Je crois que le monde réel, celui de l’appétit de revanche des peuples autrefois dominés, s’impose aux citoyens d’aujourd’hui, comme l’appétit des « Barbares » s’est imposé aux Romains de la décadence. Je crois que l’abandon du dévouement au bien commun, que la soif des plaisirs immédiats, que le poids excessif de l’administration de l’empire, ont puissamment contribué à l’effondrement de la société romaine, comme l’a très bien analysé en effet Lucien Jerphagnon. Et qu’il existe des similitudes avec la situation d’aujourd’hui de l’Occident fatigué est une évidence. De là à en tirer les conclusions qu’en tire Onfray en faveur d’une manière de « girondisme » parfait, il y a une marge. Certes la liberté doit être défendue par tous les moyens, mais ce n’est pas dans on ne sait quelle autogestion généralisée, somme d’individualismes sourcilleux sans support analytique sérieux, que le peuple français trouvera son chemin.

Vouloir nier le monde tel qu’il est relève d’une dangereuse utopie. Ce monde d’aujourd’hui est cruel, c’est un fait, mais vouloir se réfugier dans l’illusoire est un crime. Il faut expliquer inlassablement les vérités qui dérangent, il faut rappeler la dureté des temps, la nécessité vitale des adaptations nécessaires si nous voulons survivre en tant que nation indépendante, il faut le faire avec humilité, mais en sachant que la facilité ne mène nulle part. C’est ce que savent ceux qui tentent d’aller au-delà d’eux-mêmes, navigateurs solitaires, alpinistes de l’extrême, pèlerins de l’impossible. Nous ne pouvons qu’être humbles devant la puissance de la nature comme devant les mouvements tectoniques de la science ou de l’économie. Mais laisser croire à ceux qui cherchent leur chemin qu’ils trouveront la solution dans une liberté individuelle sans contrainte est pire qu’une erreur, c’est une faute. C’est ce que nous ont appris nos vieux maîtres disparus, c’est là le vrai chemin de la vertu romaine, rappelons-nous-en !

Gilles Cosson,  écrivain, auteur de « Et Rome s’enfonça dans la nuit » et de « Cinq Femmes » à paraître le 24 janvier aux éditions Pierre-Guillaume de Roux

Identité nationale : Un autre regard

France, mon beau pays, tu vas devoir t’adapter à un environnement impitoyable et je souffre pour toi. Car tes habitants sont gens de bon sens qui savent où se trouvent les plaisirs de l’existence et ils ont du mal à modifier des habitudes séculaires, source de joie de vivre et enviées par bien des nations. Heureux comme Dieu en France, disaient nos voisins Allemands, je ne suis pas sûr que les choses aient tellement évolué…

 Pourtant la nécessité du changement ne fait aucun doute : le temps n’est plus où, à l’abri de ses frontières, dans cet hexagone presque parfait que nous faisaient admirer nos maitres, cinquante pour cent de la population s’adonnaient au travaux des champs. Ma chère et vieille patrie, tu as maintenant besoin des autres : pour acheter ce qui t’est nécessaire, tu dois vendre les produits de ton industrie, pour satisfaire les besoins de cette dernière, il te faut rapprocher ton enseignement de ses exigences, pour retenir les meilleurs de tes enfants, tu dois leur offrir des perspectives intéressantes. Bref, tu dois réaliser la quadrature du cercle : ne pas surcharger le prix de tes marchandises en les grevant trop lourdement des frais de ton cher Etat, sortir un peu plus de chez toi quand tes goûts te portent à rester là où tu es, accepter que ton idéal d’égalité souffre un peu au bénéfice de ceux tentés de te quitter pour satisfaire leurs légitimes ambitions.

Tout cela va contre tes habitudes et tes traditions, d’autres diraient, de ton identité. Car si je regarde les raisons qui ont fait de toi un pays jalousé par le monde entier, plusieurs me viennent aussitôt à l’esprit :

– D’abord la beauté d’une contrée merveilleusement dotée par la nature. Je peux te le dire sans mentir, je te connais à fond : des plaines du Nord aux coteaux du Languedoc, des plages de Bretagne aux montagnes du Jura, des Pyrénées aux grandes Alpes, j’ai parcouru sac au dos tes belles provinces aux noms si doux : Aquitaine, Périgord, Alsace, Normandie, Lorraine, Franche Comté, Comtat Venaissin, Côte d’Azur et tant d’autres. Partout, j’ai trouvé des paysages magnifiques, des villes et des villages remarquables, des gens attachés à leur terroir. Oui, partout, j’ai eu envie de me fixer si grand était le charme des endroits où je passais : plages d’Armorique, abbayes du Poitou, forêts des Vosges, plateaux aux senteurs de lavande, rivages bénis de la Méditerranée.

– Ensuite la richesse de ton sol. Personne ou presque n’est mort de faim sur tes terres. Là où tant de pays voisins ont souffert de la disette : Suède, Irlande, Espagne et même Italie, tu es passée au travers de ces épreuves sans presque t’en apercevoir. Aussi tes fils se sont-ils peu expatriés car ils trouvaient chez toi le nécessaire. Quelques curieux sont allés voir ailleurs, mais on revenait et l’on revient toujours, vers son petit Liré plus volontiers qu’on ne s’expatrie sur les bords du Mississipi ou du rio de la Plata. La douceur angevine, les bons vins de Bordeaux, la bouillabaisse provençale, les huitres de Cancale, les tripoux d’Auvergne, cela était et reste disponible à un prix abordable, pourquoi partir quand on a sous la main tout ce qui fait le charme d’une journée de fête ?

– Enfin une nation passionnée plus que sentimentale, plus raisonneuse que raisonnable, qui a emprunté à ses ancêtres Gaulois l’esprit frondeur et l’habitude de l’insoumission, à ses conquérants Latins le goût du beau parler et celui de la discussion, à ses envahisseurs Francs l’esprit batailleur et l’amour des conquêtes, à ses femmes la façon de tenir quelqu’un à distance pour mieux le séduire, bref une nation qui a généré un peuple insupportable, jamais content, toujours prêt à la contestation, n’acceptant ses propres lois que dans la mesure où elles l’arrangent, mais dont quatre-vingt dix pour cent des anciens se déclarent satisfaits de leur vie lorsqu’on les interroge l’âge venu.

Chers compagnons de route, je vous aime tels que vous êtes, avec votre insupportable identité: cocardiers, râleurs, mais aussi intelligents, rieurs et satisfaits de l’existence. Et pourtant, je le répète, il vous faut changer. Cela est difficile, je le sais, mais je sais aussi que vous le comprenez et que votre bon sens est prêt à admettre beaucoup d’accommodements. Oui, l’existence sera sans doute moins facile qu’elle ne l’a été, oui, il vous faudra accepter de travailler plus longtemps et même de renoncer à certains avantages, oui vous ne pourrez prétendre rester toute votre vie dans la province où vous êtes nés et vous porterez au cœur le regret des soirées sous la tonnelle avec vos amis d’enfance, mais vous resterez Français, héritiers d’une civilisation magnifique dont vous saurez défendre, j’en suis sûr, les caractéristiques essentielles.

 Quant à ceux qui viennent d’arriver et qui ignorent le prix de ce que tant de siècles ont lentement secrété, je leur dis ceci : regardez autour de vous, comprenez la rareté de l’alchimie qui vous environne, sachez renoncer si c’est le prix à payer, aux excès d’une religion née dans les déserts de l’Arabie, vous êtes dans un pays de mesure, de doute discret, de compagnonnage rodé par les ans. Ne cherchez pas à lui imposer vos coutumes, elles ne sont pas adaptées à un contexte qui a su séduire tous les conquérants, montrez votre visage avec confiance à ceux qui vous entourent, sachez boire avec eux le verre de l’amitié, ne vous fermez pas au nom de traditions étrangères, votre ouverture vous sera rendue au centuple, vous serez accueillis à bras ouverts, bref, vous deviendrez Français.

– Ensuite la richesse de ton sol. Personne ou presque n’est mort de faim sur tes terres. Là où tant de pays voisins ont souffert de la disette : Suède, Irlande, Espagne et même Italie, tu es passée au travers de ces épreuves sans presque t’en apercevoir. Aussi tes fils se sont-ils peu expatriés car ils trouvaient chez toi le nécessaire. Quelques curieux sont allés voir ailleurs, mais on revenait et l’on revient toujours, vers son petit Liré plus volontiers qu’on ne s’expatrie sur les bords du Mississipi ou du rio de la Plata. La douceur angevine, les bons vins de Bordeaux, la bouillabaisse provençale, les huitres de Cancale, les tripoux d’Auvergne, cela était et reste disponible à un prix abordable, pourquoi partir quand on a sous la main tout ce qui fait le charme d’une journée de fête ?

Le poison et l’antidote

Chers lecteurs et amis

Voici deux ans, j’ai publié un livre : « Un combattant » qui relatait sans complaisance les mœurs mortifères du monde des affaires et de la politique. J’étais loin à l‘époque de soupçonner que la crise qui se préparait aurait l’ampleur de celle que nous avons connue. J’y stigmatisais la folie de la puissance et de l’argent qui s’empare parfois des acteurs de ce monde dans lequel revit alors le délire des grands conquérants d’autrefois. Ce délire est en général accompagné d’une perte complète de tout repère moral ou spirituel. Rien n’arrête plus l’individualisme outrancier, l’appétit morbide pour la richesse, le goût du pouvoir pour lui-même, des prédateurs de notre époque.

Face à ce poison d’aujourd’hui, si bien symbolisé par les traders fous qui se gorgent d’une spéculation aussi dangereuse qu’effrénée, face à ces intégristes de la finance rejoignant dans leur démence les intégristes religieux qui se nourrissent d’ailleurs de leurs excès, il est urgent de trouver un antidote. Et celui-ci ne peut être que spirituel. La connaissance intime d’un monde professionnel très dur, les voyages accomplis tout autour du globe, m’ont mené à cette conclusion.

J’ai déjà publié deux livres sur ce sujet*, **. Le troisième*** « Eclats de vie » est paru en décembre. Il éclaire la genèse des précédents et met en lumière l’antidote qui m’a permis de combattre le poison. Cet antidote a d’abord été le voyage dans les solitudes intérieures et extérieures qu’illustrent une trentaine de brefs « éclats » d’essence autobiographique. Il se révèle ensuite dans la « méditation » qui donne au puzzle précédent sa signification véritable, celle d’un parcours spirituel. Au travers de deux approches, l’une intuitive, l’autre rationnelle, celui-ci aboutit à la même conclusion : nous sommes parties intégrantes.

 ____________________________________________________

*« Vers une nouvelle spiritualité », éd. de Paris, Max Chaleil 2003

**« Lettre à un ami musulman », éd. de Paris, Max Chaleil 2004

 *** « Éclats de vie, suivis de Méditation », éd. du huitième jour, 2009

de l’ « Esprit qui veille » sur l’univers et il nous revient d’inscrire nos actes dans cette perspective.

  Je veux croire que ceux qui me feront l’amitié de me lire trouveront dans le contenu d’« Eclats de vie » des sources d’espérance.

Le roman historique: démarche

Conférence à la bibliothèque de l’école polytechnique

Christian Marbach m’a proposé de vous parler d’un genre littéraire bien connu, mais dont l’analyse a rarement été faite : le roman historique. Quelle est sa démarche fondatrice ? S’agit-il d’une tentative romanesque à part entière ou d’un simple avatar de la reconstitution historique, telle la peinture minutieuse d’une scène de bataille ou d’une chaumière paysanne ? L’auteur n’est-il qu’un metteur en scène sans parti pris ou se sert-il de son texte pour exposer son point de vue, voire pour tenter d’influer sur les événements ?

Questions intéressantes qui m’ont été posées sans doute parce que j’ai eu le bonheur (le malheur ?) de publier plusieurs ouvrages de ce type.

Il est clair qu’une réponse à ces interrogations ne se conçoit pas sans une rétrospective du genre. Ce sera la partie analytique de mon exposé.

Mais la réponse passe aussi par l’expérience propre de l’auteur, et ce sera la deuxième partie, beaucoup plus personnelle…

Première partie : Rétrospective.

 Pour commencer, posons-nous la question : qu’est-ce qu’un « roman historique » ? Certes, il serait confortable de dire que sera considéré comme tel, toute œuvre à vocation littéraire mettant en scène des personnages afférents à une époque où l’écrivain n’était pas encore né, mais est-ce bien exact ? Pour prendre un exemple, la bataille de Waterloo vue par Stendhal dans la Chartreuse de Parme comme par Hugo dans les Misérables ne fait-elle pas partie du genre dans la mesure où l’histoire, même mise en scène par des romanciers qui l’ont vécue, y joue un rôle important ? Ou, pour prendre un autre exemple, les Mémoires d’Hadrien, de Marguerite Yourcenar n’en constituent-elles pas une sorte d’avatar philosophique ? La difficulté de trouver des limites précises apparaît aussitôt. Je vous propose donc de procéder par exclusion et de retenir l’idée que ne sera pas considérée comme roman historique toute œuvre où l’histoire, qu’elle soit support de l’action ou des idées, ne joue pas dans l’ouvrage un rôle essentiel. Ceci exclut beaucoup d’ouvrages que le recul du temps fait parfois considérer comme « historiques » et pour n’en citer qu’un le célèbre « Quatuor d’Alexandrie » de Lawrence Durrel qui met en scène la société égyptienne de l’entre-deux guerres échappera donc à cette qualification dans la mesure où il s’agit avant tout d’un roman psychologique.

1/ Origines

Le roman historique prend sa source en des temps très lointains. Il naît œuvre d’imagination, se référant à un passé plus ou moins mythologique mais, dès le début, porteur de réflexion sur la destinée humaine. Je sais bien que les puristes vont me le reprocher mais est-ce faire injure à Homère que de le considérer comme le créateur inspiré du genre ? L’Iliade en particulier, épopée à contenu protohistorique (la guerre de Troie) ne relève-t-elle pas de cette définition ? Car les deux paramètres essentiels, relation épique et volonté de l’auteur (des auteurs ?) de tirer la leçon des événements, sont déjà présents. Voilà en tout cas un beau thème de controverse…

Sautons maintenant une très longue période, peu propice à l’œuvre romanesque (on lui préfère dans l’ensemble le livre d’inspiration religieuse, philosophique, morale ou satyrique, les églises étant peu favorables à l’œuvre de fiction profane), et approchons nous des temps modernes. Il est intéressant de noter que le roman en général et sa branche historique en particulier, vont croître et prospérer là où survient l’affaiblissement de la religion « officielle ». Ce n’est pas un hasard si le roman de mœurs ou historique prend son essor en Occident à l’époque de l’Encyclopédie.

  Pour illustrer mon propos, je vais maintenant procéder à une rapide revue de quelques auteurs en m’excusant par avance d’un choix forcément arbitraire.

2/ Précurseurs

Commençons donc par ceux qui couvrent grosso modo la période 1750/1850

Walter Scott (1771/1832) traite au départ de légendes, puis se penche sur une histoire largement réinventée et magnifiée, celle de l’Ecosse du Moyen Âge : « Ivanhoé », « Quentin Durward », etc.

Fenimore Cooper (1789/1851) né aux Etats-Unis, est l’illustrateur nostalgique de la légende indienne avec son « Dernier des Mohicans ».

Victor Hugo (1802/1885) fait de longs détours par le roman historique avec « Notre Dame de Paris », voire, nous l’avons dit, avec « Les Misérables ».

Alexandre Dumas (1802/1870), auteur fécond, voire prolifique (il est vrai qu’il se faisait beaucoup aider) crée ses immortels « Trois Mousquetaires » et autres « Dame de Montsoreau »…

 Constatons que, dans cette première période, le roman historique ne brille pas par le souci d’exactitude, et il est en cela l’expression de son temps. L’histoire n’est pas une science, elle est matière à illustration d’une thèse. La reconstitution est assez fantaisiste. Le roman historique est avant tout une œuvre d’imagination destinée à utiliser le recul du temps pour magnifier un peuple ou des individus.

3/ Modernes (1850 à nos jours)

 Le souci d’exactitude fait peu à peu son apparition, l’un des premiers à en faire preuve étant sans doute Tolstoï (1828/1910) dont l’immortel « Guerre et paix » marquera des générations par la vie qui habite ses personnages mais aussi par son souci d’interprétation des événements. Le romancier cherche à transmettre non seulement sa sympathie pour des personnages ou son admiration pour de nobles caractères, mais une vision quasi messianique de l’histoire des hommes, les passages philosophiques n’étant pas d’ailleurs pas forcément les plus convaincants…

 Il n’est pas indifférent de noter que la recherche de l’exactitude dans le roman historique accompagne les grandes découvertes archéologiques du temps (fouilles de Babylone, taureaux de Khorsabad, ruines de Troie, déchiffrement de l’écriture cunéiforme). L’histoire prend soudain une réalité tangible, elle passionne le grand public et échappe à la légende pour pénétrer dans le quotidien. Le retour aux sources s’impose comme une façon pour les peuples de se forger une conscience collective nourrie à des sources historiques sérieuses.

Une série de grands romanciers du vingtième siècle avec pour commencer deux grandes romancières scandinaves, vont illustrer cette thèse :

-Sigrid Undset (1882/1949) avec son chef d’œuvre « Christine Lavransdatter », met en scène une femme indomptable de la Norvège du Moyen-Âge, admirablement recréée avec ses mœurs patriarcales et son environnement religieux.

-Selma Lagerlöf (1858/1940) et sa «Légende de Gösta Berling », mais aussi « Jérusalem en Dalécarlie », campe le XVIIIème et XIXème siècle suédois, avec ses rudes coutumes campagnardes et déjà des personnages de femmes fortes.

-Le prince de Lampedusa (1896/1957), avec la naissance de l’Italie moderne à l’époque du Risorgimento, crée son immortel « Guépard » méditant sur la ruine inéluctable des traditions aristocratiques.

-Ismaël Kadaré met en scène l’Albanie d’avant et pendant la période ottomane dans son « Pont aux trois arches » et autres « Niche de la honte ».

-Robert Merle produit au fil des années sa série prométhéenne consacrée au Périgord de la Réforme.

L’histoire devient le support de la philosophie personnelle de l’auteur, souvent mise au service de la mémoire collective d’un peuple, mais toujours dans le respect des faits historiques.

4/ Tendances contemporaines

 Il me semble que l’époque actuelle est fortement marquée par une mode, celle de l’Antiquité lointaine, voire de la préhistoire, comme si le retour aux sources de l’humanité en général, permettaient aux hommes de notre temps, parfois déboussolés par la rapidité des évolutions qui leur sont imposées, de reprendre leur souffle. À titre d’illustration de cette thèse, on peut citer :

-La romancière américaine Jane Auel, avec ses « Enfants de la Terre », œuvre centrée sur la cohabitation complexe entre l’homme de Neandertal et celui de Cro-Magnon, mais nourrie aux meilleures sources scientifiques.

 -Nika Waltari, avec « Sinoué l’Egyptien », « Le serviteur du prophète » et autres ouvrages

– Christian Jacq et sa longue série consacrée aux pharaons.

Avant de tirer une synthèse provisoire de cette rétrospective et puisque nous sommes entre scientifiques, posons-nous une dernière question : le roman historique s’est-il penché sur le destin d’une entreprise industrielle, d’un entrepreneur, ou même d’un savant ? Force est de constater que le monde romanesque et celui de l’économie ou de la science ne font pas très bon ménage, peut-être parce que la fiction et le domaine du réel, à fortiori celui de la science exacte, ne présentent pas d’affinité particulière l’un pour l’autre.

Deux titres viennent pourtant à l’esprit : « Les Buddenbrook », le gros roman consacré par Thomas Mann à une famille d’armateurs du Nord de l’Allemagne, et « l’Oeuvre au noir » de Marguerite Yourcenar dans laquelle celle-ci se penche avec le talent qu’on lui connaît sur les interrogations d’un médecin alchimiste face aux bouleversements de la Renaissance.

Pour résumer, plusieurs conclusions semblent se dégager :

1 Le développement progressif du souci d’exactitude est patent, souci qui vient compléter l’étude des caractères et la glorification des peuples. Comme dit plus haut, la raison en est sans doute à chercher du côté des grandes découvertes archéologiques et du développement de l’histoire en tant que discipline scientifique, par opposition à l’histoire interprétative du début du XIXe siècle. Le plaisir de la reconstitution aussi exacte que possible est clairement perceptible chez plusieurs auteurs qui poussent la minutie très loin, avec le danger de voir l’histoire proprement dite prendre le pas sur l’étude des caractères. Mais ceci n’est pas forcément un handicap, le lecteur cherchant avant tout à se replonger dans l’atmosphère du temps.

2/ Le choix de périodes critiques, facteurs favorables au dépassement de soi, apparaît fréquent. La « mise sous tension » des héros au travers des drames de l’histoire permet de faire face aux angoisses existentielles de chacun par des prouesses physiques ou morales impressionnantes. L’auteur se replonge avec délices, et avec lui le lecteur, dans les moments tragiques du passé, vecteurs de sublimation de l’individu.

3/La part intellectuelle, philosophique, voire religieuse varie beaucoup selon les auteurs et ceci indépendamment de l’époque de rédaction : faible chez Dumas, elle est forte chez Tolstoï et très forte chez Sigrid Undset qui se sert d’une héroïne d’exception pour exalter les valeurs féminines en même temps que le caractère fondamental de la spiritualité.

Bref, l’œuvre reflète le tempérament propre de chacun ce qui n’est pas surprenant, mais les partis pris, comme le style adopté, reflètent ceux de leur temps. À ce titre, la science-fiction, genre apparu à la fin du XIXe siècle, peut à mon avis être perçu comme un avatar du roman historique (celui-ci se projetant dans l’avenir en quelque sorte), avec le même souci affiché de « l’exactitude » scientifique. Dans cette mesure, il me semble que Jules Verne pourrait sans difficulté être considéré comme un grand romancier de ce type.

Mais j’arrête là. Retenons simplement que le roman historique comme la plupart des œuvres humaines, porte la marque de l’époque qui l’a vu naître. Telle sera la conclusion de ma première partie, conclusion qui incline à la modestie.

Deuxième partie : Un point de vue personnel

Je dois maintenant m’excuser pour ce qui va suivre. J’étais en effet devant un choix impossible : ou bien je restais dans les généralités sur le roman historique avec le risque d’être vite ennuyeux, ou bien je faisais un détour par une personne, moi-même, avec le risque que ceci soit perçu comme prétentieux. Ce risque, j’ai décidé de l’assumer : d’abord parce qu’il m’a semblé que c’est ce que vous attendiez de moi, ensuite parce qu’il est plus amusant de dévorer à belles dents un tout petit auteur vivant que de rendre l’hommage obligé dû à de grands morts.

Si je me replonge donc dans la démarche qui m’a mené à l’écriture historique, il me semble que j’y retrouve beaucoup des ingrédients précédemment décrits.

D’abord le goût de l’histoire avec ses événements captivants et ses personnalités d’exception. Ensuite, et dans la mesure où l’époque que nous avons traversée n’a que peu favorisé la « mise sous tension » des individus au travers d’épisodes critiques, le besoin de dépassement, celui de toucher les limites que la vie quotidienne en temps de paix ne permet pas de mettre en lumière. Ceci pousse à la recherche de sensations fortes. N’étant pas capable des exploits qui s’expriment dans l’alpinisme de l’extrême ou la navigation solitaire, difficilement compatibles par ailleurs avec un métier prenant et une famille, je me suis contenté de rechercher sur les grands chemins de ce monde l’émotion et parfois le parfum de risque que l’existence ordinaire, si intéressante qu’elle soit, ne m’offrait pas.

La première étape de ce cheminement a donc été de voyager dans des endroits quelque peu exotiques : passant des rivières à gué en Laponie, découvrant des huttes de trappeur abandonnées en Alaska, dormant sous les tentes des nomades Tcherkesses dans le Taurus, parcourant les hautes vallées du Zanskar ou du Népal, franchissant des cols tempétueux au Tibet, au Pamir ou en Patagonie. Je passe sur le soin que je mettais à cacher ces excès à Jacques de Fouchier ou à Pierre Moussa dont la sollicitude paternelle à mon égard n’aurait sans doute pas été jusqu’à bénir de pareilles excentricités. Et pourtant que de richesses dans ces souvenirs ! Rien ne saurait remplacer dans ma mémoire le bruit étouffé de la neige tombant sur nos tentes, autour du lac Namtso, à 4700 mètres d’altitude au cœur du Tibet, le vent dans les défilés des Nyanchen Tangla, ou la vue de la mer d’Islande depuis les solitudes enneigées du Vatnajökull ! Accompagnaient ces impressions vivaces la découverte de la très ancienne histoire de peuples encore authentiques, survivant souvent dans de hautes montagnes, avec leurs sanctuaires entourés de piétés aussi diverses que sincères : guides touaregs tournés vers La Mecque, pèlerins tibétains avançant au rythme de leurs corps couchés, solitaires de l’Himalaya hélant le voyageur du haut de leurs ermitages impossibles…. Autant d’émotions inoubliables !

La deuxième étape du cheminement a alors été la tentation classique : présomption, orgueil, ou simple folie, chacun appréciera, de sauver d’une disparition certaine quelques-unes de ces impressions vécues, de tenter de transmettre un peu de ces expériences, de leur beauté, des personnages extraordinaires rencontrés, des sensations éprouvées.

J’ai donc commencé à écrire sur le tard en ne donnant à l’histoire au début qu’une attention quelque peu distraite, sans doute parce que cela nécessitait moins de travail et que j’avais très peu de temps… Ce fut « Arenna », un livre qui retraçait le déclin de l’empire byzantin finissant en même temps que le calvaire de l’Arménie en butte au déferlement mongol. Une nuit dans le cimetière d’une église arménienne ruinée, en Anatolie orientale, en avait fourni le levain. Ah cette nuit au milieu des vestiges du génocide !, les cris des bergers dans l’obscurité, les murs rouges au soleil levant… ! La lutte, homérique, entre deux des plus fortes personnalités du temps : Tamerlan et Bajazet, m’en fournit le cadre épique. Tamerlan, contrairement à Gengis Khan, n’ayant laissé que peu de souvenirs historiques vérifiés (Zafer Namé, relation de Luis de Clavijo pour l’essentiel), me facilita une relation quelque peu laxiste.

Et là, j’ai découvert pour la première fois que les personnages, une fois mis en place, prenaient l’auteur par la main, qu’ils le conduisaient, qu’ils acquéraient une vie propre avec sa logique, ses contraintes et ses contradictions. Beaucoup de gens m’ont posé la question : comment avez-vous conçu le plan de vos ouvrages ? Je dois répondre en toute honnêteté : ce n’est pas moi qui ai conçu la trame d’aucun roman, ce sont les romans eux-mêmes qui ont construit leur trame au fil de leur avancée. En dehors du souhait de relater quelques émotions qui avaient compté pour moi, je n’avais pas en commençant la moindre idée de ce que serait l’intrigue, elle s’est toujours construite chemin faisant.

Puis j’ai eu honte de ma fantaisie et le souci de l’exactitude historique m’a envahi. Ce furent « Les Taureaux de Khorsabad », centrés sur les lettres authentiques du consul de France, Victor Place, redécouvrant les fameux taureaux assyriens à l’époque de la guerre de Crimée, lettres qui me valurent beaucoup de contacts avec le département des Antiquités orientales du Louvre. Puis vint « Le chevalier de Saint Jean d’Acre », histoire romancée de la troisième croisade, avec son affrontement courtois entre Philippe Auguste, Richard Cœur de Lion et Saladin, Saladin qui personnifiait à l’époque la tolérance religieuse et avait donné asile à beaucoup de Juifs chassés d’Espagne par les Almohades, dont le célèbre Maimonide…

J’ai alors découvert le jeu qui consiste, non seulement à voir les personnages acquérir leur autonomie, mais à les inscrire dans l’histoire, à les faire passer, si je peux m’exprimer ainsi, par le chas de l’aiguille qu’imposent les événements, jeu parfois compliqué qui tient un peu de celui du puzzle ou du détective. Le travail nécessaire pour construire mon intrigue s’en est trouvé considérablement augmenté, mais le plaisir aussi… Il m’a fallu alors prendre garde à ne pas me laisser engloutir par les milliers de pages qui ont tendance à envahir le paysage au détriment de la vie personnelle des personnages…. Ce furent des heures studieuses à la Bibliothèque nationale à consulter des manuscrits anciens au milieu d’érudits qui me considéraient légitimement comme un amateur. Et ce furent aussi des voyages au Moyen-Orient, en Asie centrale, des détours par d’autres bibliothèques parisiennes comme la Mazarine dont Pierre Faurre m’ouvrit les portes, et la recherche d’ouvrages plus ou moins disparus. Je me souviens de la traque d’un petit livre charmant intitulé « D’un château en Courlande à un presbytère nivernais » écrit par le descendant d’une grande famille de barons baltes passés au service de la Pologne. Que de ruses pour entrer finalement en possession de ce livre ! L’ambassade de Lettonie en France et quelques autres pourraient témoigner de mes tentatives infructueuses jusqu’au jour où… Mais cela va me permettre une transition vers mon dernier livre.

Car j’étais démangé depuis longtemps par l’envie de me pencher sur l’Europe du début du vingtième siècle, époque fertile en bouleversements comme peu d’autres, avec l’écroulement de ses traditions chevaleresques, ses délires idéologiques et la déspiritualisation progressive du continent.

Si nous nous penchons sur la première moitié du vingtième siècle, que voyons-nous en effet ?

L’excès de certitudes religieuses, patriotiques, voire nationalistes marque la belle époque, telle une étoile fatiguée, mais qui brûle encore. Relisons Stefan Zweig décrivant Vienne le jour de la déclaration de guerre :

«Une ville de 2 millions d’habitants éprouvait à cette heure le sentiment de participer à un moment qui ne reviendrait plus jamais, où chacun était appelé à jeter son moi infime dans une masse ardente pour s’y purifier de tout égoïsme. Toutes les distinctions de rang, de langues, de classes ou de religion étaient submergées par le sentiment débordant de la fraternité… »

La guerre de 1914 à ses débuts est en somme l’ultime avatar des traditions chevaleresque du Moyen-Âge, telle une géante rouge qui va s’effondrer sur elle-même. C’est le thème de « La grande illusion ». Car maintenant viennent la guerre à distance, la boue des tranchées et les gaz de combat. C’est Ernst von Salomon qui déclare :

« Nous étions enragés…Nous avions allumé un bûcher où il n’y avait pas que des objets inanimés qui brûlaient : nos espoirs, nos aspirations y brûlaient aussi, les lois de la bourgeoisie, les valeurs du monde civilisé, tout y brûlait avec les derniers vestiges du vocabulaire et de la croyance aux idées de ce temps…

Sur ces décombres surgit alors le délire idéologique de l’entre-deux guerres : communisme et nazisme. Les valeurs spirituelles d’autrefois sont détournées et mises au service d’idéologies meurtrières : une manière de « supernova » idéologique explose :

 » Le totalitarisme confisque les valeurs religieuses, il les vide de leur contenu et se recouvre de leur manteau… ». (Octavio Paz)

Enfin, avec l’achèvement de la deuxième guerre mondiale, se produit l’effondrement des idéologies : immédiat pour le nazisme, différé pour le communisme, avec le « trou noir » dans lequel nous sommes encore. Une lumière sort-elle de ce trou noir là ? La question peut se poser… Force est de constater que la « gueule de bois idéologique » qui a suivi les excès de l’entre-deux guerres a laissé l’Europe dans un état de vide dangereux, face à des peuples ou des idéologies qui, eux, ne doutent de rien.

Oui, cette époque m’a fasciné et ce furent des milliers et des milliers de pages de lecture, des voyages en Russie, au Maroc, en Turquie et une longue composition, celle de « Tourmente et passion », qui m’a pris quatre années entières, avec une sortie en trois épisodes et à la fin un gros livre… J’en ai apporté quelques exemplaires, pris sur mon contingent personnel que je me propose de remettre à ceux que cela intéresserait avec en prime un petit jeu : je défie le lecteur de trouver une erreur historique à l’exception d’une seule, très modeste et que je suis seul à connaître, une déclaration qui n’est chronologiquement pas tout à fait à sa place. J’invite par avance à déjeuner celui qui la découvrira !

Et puis au bout du compte, je me suis aperçu que ce que j’avais voulu mettre en scène, au milieu de tous ces livres, c’était la naissance d’une conviction, celle de l’inexorable dérive au fil de l’histoire des diverses croyances humaines.

Cela, c’est un essai que j’ai intitulé « Chronique d’une catastrophe annoncée : Vers une nouvelle spiritualité ? », essai qui devrait voir le jour au tout début de 2004. J’y insiste sur les contradictions de l’être humain, le caractère relatif de ses convictions du moment, mais aussi sur la soif d’unité qui l’habite et la nécessité de lui offrir un support spirituel sans lequel il ne peut vivre en paix avec lui-même. Les grands « corps de bataille » spirituels d’autrefois sont-ils encore adaptés à notre époque ? Et surtout, peuvent-ils cohabiter en paix ? On peut en douter. Sujet exagérément sérieux, mais très actuel… De toute façon, il ne s’agit là bien sûr que de sentiments personnels, discutables par essence.

Conclusion

Revenons à notre question d’origine : le roman historique est-il une simple reconstitution « pour le plaisir « ou procède-t-il plutôt d’une démarche personnelle de l’auteur cherchant à approfondir des idées qui lui sont propres ?

Vous l’avez compris, la réponse est : un peu des deux évidemment, avec des degrés divers selon les personnes… Mais il est aussi profondément marqué par l’époque de sa conception. Restons donc simples et essayons de donner au lecteur matière à divertissement, et si possible aussi, à réflexion.

Au bout du compte et quoi qu’il arrive, il restera pour moi, ce que j’appellerai le plaisir de l’artisan, celui qui consiste à s’obliger avec toute la modestie possible au travail bien fait, dans le silence et la solitude. Et il me semble qu’en cela, j’ai rejoint la tradition polytechnicienne, celle qui veut que chacun, dans sa spécialité, œuvre avec honnêteté à remplir les missions qui lui ont été confiées, ou qu’il s’est attribué de son propre chef. A notre époque d’individualisme exacerbé, pour ne pas dire de cynisme, il me semble qu’il s’agit là d’un héritage qui mérite d’être conservé.

Un parcours spirituel: Vers une approche postmoderne du divin

Conférence à la Mairie du VIème- 28 novembre 2009

France, mon beau pays, tu vas devoir t’adapter à un environnement impitoyable et je souffre pour toi. Car tes habitants sont gens de bon sens qui savent où se trouvent les plaisirs de l’existence et ils ont du mal à modifier des habitudes séculaires, source de joie de vivre et enviées par bien des nations. Heureux comme Dieu en France, disaient nos voisins Allemands, je ne suis pas sûr que les choses aient tellement évolué…

 Pourtant la nécessité du changement ne fait aucun doute : le temps n’est plus où, à l’abri de ses frontières, dans cet hexagone presque parfait que nous faisaient admirer nos maitres, cinquante pour cent de la population s’adonnaient au travaux des champs. Ma chère et vieille patrie, tu as maintenant besoin des autres : pour acheter ce qui t’est nécessaire, tu dois vendre les produits de ton industrie, pour satisfaire les besoins de cette dernière, il te faut rapprocher ton enseignement de ses exigences, pour retenir les meilleurs de tes enfants, tu dois leur offrir des perspectives intéressantes. Bref, tu dois réaliser la quadrature du cercle : ne pas surcharger le prix de tes marchandises en les grevant trop lourdement des frais de ton cher Etat, sortir un peu plus de chez toi quand tes goûts te portent à rester là où tu es, accepter que ton idéal d’égalité souffre un peu au bénéfice de ceux tentés de te quitter pour satisfaire leurs légitimes ambitions.

Tout cela va contre tes habitudes et tes traditions, d’autres diraient, de ton identité. Car si je regarde les raisons qui ont fait de toi un pays jalousé par le monde entier, plusieurs me viennent aussitôt à l’esprit :

– D’abord la beauté d’une contrée merveilleusement dotée par la nature. Je peux te le dire sans mentir, je te connais à fond : des plaines du Nord aux coteaux du Languedoc, des plages de Bretagne aux montagnes du Jura, des Pyrénées aux grandes Alpes, j’ai parcouru sac au dos tes belles provinces aux noms si doux : Aquitaine, Périgord, Alsace, Normandie, Lorraine, Franche Comté, Comtat Venaissin, Côte d’Azur et tant d’autres. Partout, j’ai trouvé des paysages magnifiques, des villes et des villages remarquables, des gens attachés à leur terroir. Oui, partout, j’ai eu envie de me fixer si grand était le charme des endroits où je passais : plages d’Armorique, abbayes du Poitou, forêts des Vosges, plateaux aux senteurs de lavande, rivages bénis de la Méditerranée.

– Ensuite la richesse de ton sol. Personne ou presque n’est mort de faim sur tes terres. Là où tant de pays voisins ont souffert de la disette : Suède, Irlande, Espagne et même Italie, tu es passée au travers de ces épreuves sans presque t’en apercevoir. Aussi tes fils se sont-ils peu expatriés car ils trouvaient chez toi le nécessaire. Quelques curieux sont allés voir ailleurs, mais on revenait et l’on revient toujours, vers son petit Liré plus volontiers qu’on ne s’expatrie sur les bords du Mississipi ou du rio de la Plata. La douceur angevine, les bons vins de Bordeaux, la bouillabaisse provençale, les huitres de Cancale, les tripoux d’Auvergne, cela était et reste disponible à un prix abordable, pourquoi partir quand on a sous la main tout ce qui fait le charme d’une journée de fête ?

– Enfin une nation passionnée plus que sentimentale, plus raisonneuse que raisonnable, qui a emprunté à ses ancêtres Gaulois l’esprit frondeur et l’habitude de l’insoumission, à ses conquérants Latins le goût du beau parler et celui de la discussion, à ses envahisseurs Francs l’esprit batailleur et l’amour des conquêtes, à ses femmes la façon de tenir quelqu’un à distance pour mieux le séduire, bref une nation qui a généré un peuple insupportable, jamais content, toujours prêt à la contestation, n’acceptant ses propres lois que dans la mesure où elles l’arrangent, mais dont quatre-vingt dix pour cent des anciens se déclarent satisfaits de leur vie lorsqu’on les interroge l’âge venu.

Chers compagnons de route, je vous aime tels que vous êtes, avec votre insupportable identité: cocardiers, râleurs, mais aussi intelligents, rieurs et satisfaits de l’existence. Et pourtant, je le répète, il vous faut changer. Cela est difficile, je le sais, mais je sais aussi que vous le comprenez et que votre bon sens est prêt à admettre beaucoup d’accommodements. Oui, l’existence sera sans doute moins facile qu’elle ne l’a été, oui, il vous faudra accepter de travailler plus longtemps et même de renoncer à certains avantages, oui vous ne pourrez prétendre rester toute votre vie dans la province où vous êtes nés et vous porterez au cœur le regret des soirées sous la tonnelle avec vos amis d’enfance, mais vous resterez Français, héritiers d’une civilisation magnifique dont vous saurez défendre, j’en suis sûr, les caractéristiques essentielles.

 Quant à ceux qui viennent d’arriver et qui ignorent le prix de ce que tant de siècles ont lentement secrété, je leur dis ceci : regardez autour de vous, comprenez la rareté de l’alchimie qui vous environne, sachez renoncer si c’est le prix à payer, aux excès d’une religion née dans les déserts de l’Arabie, vous êtes dans un pays de mesure, de doute discret, de compagnonnage rodé par les ans. Ne cherchez pas à lui imposer vos coutumes, elles ne sont pas adaptées à un contexte qui a su séduire tous les conquérants, montrez votre visage avec confiance à ceux qui vous entourent, sachez boire avec eux le verre de l’amitié, ne vous fermez pas au nom de traditions étrangères, votre ouverture vous sera rendue au centuple, vous serez accueillis à bras ouverts, bref, vous deviendrez Français.

– Ensuite la richesse de ton sol. Personne ou presque n’est mort de faim sur tes terres. Là où tant de pays voisins ont souffert de la disette : Suède, Irlande, Espagne et même Italie, tu es passée au travers de ces épreuves sans presque t’en apercevoir. Aussi tes fils se sont-ils peu expatriés car ils trouvaient chez toi le nécessaire. Quelques curieux sont allés voir ailleurs, mais on revenait et l’on revient toujours, vers son petit Liré plus volontiers qu’on ne s’expatrie sur les bords du Mississipi ou du rio de la Plata. La douceur angevine, les bons vins de Bordeaux, la bouillabaisse provençale, les huitres de Cancale, les tripoux d’Auvergne, cela était et reste disponible à un prix abordable, pourquoi partir quand on a sous la main tout ce qui fait le charme d’une journée de fête ?

Le monde pensant

Les années 90 : la « décennie du cerveau »

Les années 90 ont pu être appelées la « décennie du cerveau » tant les progrès dans la connaissance de l’organe le plus noble du corps humain ont été extraordinaires. Il convient d’en rappeler les étapes précédentes :

1 – La découverte des ondes cérébrales

C’est déjà un fait ancien puisque c’est en 1929 que le neurologue Hans Berger réalisa les premiers électroencéphalogrammes non invasifs (c’est-à-dire par la mise en place sur le cuir chevelu d’électrodes à certains endroits), faisant ainsi apparaître que l’activité cérébrale se manifestait par l’émission d’ondes de type électromagnétique. Mais ni les instruments de mesure, encore rudimentaires, ni les capacités d’interprétation n’étaient à la mesure de la découverte. Pour les premiers, la sensibilité et la rapidité de l’électronique de mesure étaient loin du nécessaire, pour les secondes, le neurologue en était réduit à tenter de déchiffrer sur de petits rouleaux de papier la signification des ondes ainsi répertoriées. Ainsi celles-ci sont-elles longtemps restées plus un sujet de curiosité qu’un objet d’étude scientifique. Pourtant l’émission par le cerveau d’ondes électromagnétiques constituait un point de première importance puisqu’elle permettait d’imaginer le cerveau comme une manière d’émetteur radio de très faible puissance et à très basses fréquences, mais émetteur quand même avec toutes les possibilités d ‘analyse et de réflexion qu’ouvrait ce phénomène.

2 – Le développement de l’imagerie cérébrale

IRM, tomographie, magnétoencéphalographie etc. permettent de mieux distinguer les zones du cerveau actives dans diverses circonstances et avec l’arrivée de l’ordinateur, les choses ont commencé à changer dans les années cinquante et soixante avec en particulier la découverte des ondes alpha, bêta, delta , thêta et gamma, caractéristiques de certains états de conscience. Il est alors apparu que la fréquence de ces ondes s’étendait de moins de 4 à environ 40 Hz et plus. Le terme de rythme cérébral a alors été utilisé pour désigner une oscillation électromagnétique dans une bande de fréquences donnée, résultant de l’activité électrique cohérente d’un grand nombre de neurones du cerveau. Ces ondes sont de très faible amplitude, elles sont de l’ordre du microVolt chez l’être humain et ne suivent pas toujours une sinusoïde régulière. À noter que de façon générale, les ondes de très faible fréquence dites ELF* ce qui est le cas des ondes cérébrales, sont pour l’essentiel des ondes de sol.

 La pensée est ainsi apparue comme associée à un train d’ondes complexe intégrant simultanément une série de fréquences, le tout cohabitant avec un « bruit de fond » cérébral que l’on pourrait comparer à celui du nuage chargé d’électricité, l’éclair (la pensée) en étant le produit ultime. Il était et reste bien entendu impossible de « lire » une pensée globale, mais il apparaissait d’ores et déjà que certaines pensées simples (ordre donné, attention portée à une lettre) pouvaient donner lieu à analyse.

*Extremely Low Frequency

3 – C’est bien ce qui s’est passé dans la décennie 90 et qui se poursuit aujourd’hui. Le développement fantastique de la puissance d’analyse des ordinateurs et l’amélioration de la connaissance interne du cerveau ont permis de discerner beaucoup plus clairement à l’intérieur du « bruit de fond » ce qu’était le mode d’émission de diverses pensées. Il n’entre pas dans l’objet de ce travail d’entrer dans le détail de l’interprétation des divers types d’ondes cérébrales, lesquelles ont donné lieu à de nombreuses publications. Nous nous pencherons en revanche sur le phénomène nouveau qu’est la possibilité de modifier à distance l’état physique d’une machine par le seul effet de la pensée, possibilité qui illustre bien le pouvoir d’action des ondes cérébrales.

a – L’interface cerveau-ordinateur

Rien qu’en France, une quinzaine de laboratoires travaillent aujourd’hui sur ce thème (voir à ce sujet extrait de Fabien Lotte, Anatole Lecuyer, Bruno Arnaldi : les interfaces cerveau/ordinateur : utilisation en robotique et avancées récentes, Journées nationales de la recherche en robotique, 2007, Obernai).

On peut maintenant envisager d’écrire par la pensée : « Grâce au logiciel OpenViBE (cf.annexe), nous avons développé une interface baptisée P300 Speller, qui permet d’écrire des phrases en sélectionnant par la pensée des lettres présentées sur un écran, illustre Olivier Bertrand, directeur de l’unité Inserm 821 « Dynamique cérébrale et cognition » à Bron, près de Lyon. Sur l’écran, les lettres sont successivement surlignées ou « flashées » par lignes et colonnes. Le patient équipé d’un casque EEG doit focaliser son attention sur la lettre qu’il souhaite épeler. Lorsque cette lettre est « flashée », une onde cérébrale est produite, puis détectée et interprétée par l’ordinateur. Lettre après lettre, le patient construit des mots, puis des phrases, sur l’écran. »

Plus précisément, une interface cerveau/ordinateur peut être décrite comme un système en boucle fermée, composé de six étapes principales :

1.Mesure de l’activité cérébrale (avec les machines d’acquisition de type électroencéphalogramme EEG),

2.Pré-traitement et filtrage des signaux cérébraux (souvent très bruités),

3.Extraction de caractéristiques des signaux (pour ne conserver que des informations utiles),

4.Classification des signaux (pour identifier l’activité mentale et lui attribuer une classe),

5.Traduction en une commande (envoyée à l’ordinateur ou à la machine)

6.Retour perceptif (l’utilisateur voit ainsi le résultat de sa commande mentale et va progressivement apprendre à mieux contrôler le système).

b – L’étape ultérieure : l’action directe du cerveau sur une machine. Est-elle possible ?

Il est clair que l’on est encore très loin d’entrevoir la possibilité d’action directe du cerveau sur une machine. Rappelons à ce sujet que l’analyse et l’amplification préliminaires du signal comme la nécessité d’un entrainement préalable du sujet (ce dernier doit porter un casque enregistrant les émissions de son cerveau) sont aujourd’hui nécessaires. La différence entre une impulsion électrique émise à l’intérieur du cerveau et un train d’ondes sortant de celui-ci vers l’extérieur est un obstacle important. Mais toute onde électromagnétique, en particulier aux basses fréquences, diffuse sans difficulté au travers d’une paroi osseuse comme le montre d’ailleurs l’électroencéphalogramme non invasif, lui-même réalisé à l’extérieur du cerveau. Certes le signal est enregistré en plaçant les électrodes en des endroits bien précis, mais l’émergence de l’approche 3D (cf. infra) montre qu’un jour viendra où l’on sera capable de visualiser l’activité du cerveau dans son ensemble, ce qui fera faire un pas de géant dans l’analyse du signal.

Il reste que les difficultés sont considérables.

– L’antenne nécessaire à la diffusion dans de bonnes conditions d’une onde électromagnétique doit être d’autant plus grande que sa fréquence est plus faible (cas des ondes cérébrales), ce qui rend donc peu performante la transmission de celles-ci.

– Le bruit de fond du monde extérieur (par exemple les champs électriques associés aux appareils électriques domestiques de fréquence 50 Hz) s’ajoutant dans le cas d’une réception à distance à celui du cerveau rend encore plus difficile (certains diront impossible) la sélection du signal.

– Enfin l’onde cérébrale se dispersant dans l’espace comme toute émission électromagnétique selon le carré de la distance, on imagine le chemin qui reste à parcourir, même à proximité immédiate de l’émetteur.

Tout cela sera pourtant surmonté. Il faudra multiplier par un facteur de plusieurs milliers la sensibilité des récepteurs actuels et surtout éliminer le bruit de fond, par exemple en écoutant préalablement ce dernier en un lieu donné de façon à pouvoir le neutraliser. Mais rien n’empêche, semble-t-il, sur le plan théorique d’imaginer l’étape suivante, celle de la transmission directe d’un ordre donné par un cerveau entraîné à une machine, pourvue d’un amplificateur/décodeur de sensibilité suffisante et ayant éliminé le bruit de fond.

Pour résumer, il apparaît que nous en sommes aujourd’hui aux premiers balbutiements d’une technique en devenir. Nul doute cependant que celle-ci parvienne peu à peu à s’abstraire des limites imposées par la technologie actuelle pour aller beaucoup plus loin dans l’expérimentation et la pratique. L’essentiel est qu’il ne semble exister, répétons-le, sur le chemin de l’émission/réception des ondes cérébrales aucune difficulté de principe, seulement des difficultés opératoires.

Et pour donner l’espoir nécessaire à ces recherches, rappelons l’existence de la télépathie qui, même si elle n’est pas admise par la communauté scientifique, a maintes fois permis à un cerveau émetteur, souvent situé à grande distance de communiquer instantanément avec un cerveau récepteur lié au premier par une réceptivité particulière. Sauf à imaginer une transmission à distance par un phénomène inconnu, ce à quoi nous nous refusons, voilà qui en dit long sur le degré de sensibilité du récepteur naturel qu’est le cerveau humain lorsqu’il est « excité » de façon appropriée (voir dans le même registre la réaction des animaux aux infrasons annonçant un prochain tremblement de terre).

Conclusions et hypothèses

 La pensée apparaît bien comme un phénomène électrique qui, prenant sa source dans des modifications chimiques au sein du cerveau, aboutit in fine, s’agissant de l’homme, à la création d’ondes électromagnétiques à basses fréquences lesquelles se répartissent selon le mode propre aux émissions de ce type en perdant leur énergie selon le carré de la distance, mais sans jamais stricto sensu s’éteindre complètement. Elle représente donc une forme d’énergie que nous dénommerons « énergie spirituelle », celle-ci nous environnant à tout instant et étant constituée de la somme de toutes les pensées passées et présentes émises sur notre vieille terre.

Si nous imaginons dans un deuxième temps l’infini des mondes et les intelligences qui s’y déploient, l’hypothèse d’une « soupe spirituelle » évoquée dans « Éclats de vie », et dans laquelle baignent les divers univers galactiques, prend alors tout son sens. Nul ne connaît en effet ni la puissance, ni les fréquences auxquelles sont capables d’émettre les divers êtres pensants qui habitent vraisemblablement le cosmos. Mais l’énergie spirituelle qui leur est propre pourrait bien dans certaines hypothèses représenter, comme nous l’avons dit, une composante essentielle, qualitativement et peut-être même quantitativement, d’un univers que nous pouvons qualifier de « pensant » au sens où il inclut l’ensemble des ondes cérébrales émises depuis toujours par les divers êtres pensants.

 Il est temps à ce propos de revenir maintenant sur l’origine des temps, ce big-bang auquel nous renvoient les scientifiques de toutes origines, chacun s’accordant à dire qu’il a nécessité une dissipation d’énergie inimaginable. Rien n’interdit à ce niveau, hypothèse partagée par nombre de scientifiques croyants, d’imaginer que cette énergie ait pu être d’origine « spirituelle », ou pour dire les choses autrement, rien n’interdit d’imaginer une « pensée à l’œuvre » en cet instant mystérieux. Nous sommes là dans le domaine libre de l’hypothèse, que chacun peut accepter ou rejeter, mais que personne ne saurait éliminer par principe. Et lorsque après le big bang, le monde a commencé à prendre forme rien n’interdit non plus d’imaginer que cette énergie soit toujours présente sous une forme diffuse dans l’espace intergalactique au même titre que l’énergie spirituelle passée et présente des êtres pensants. Ainsi serait-il concevable que l’univers soit non seulement pensant, mais « pensé » comme nous en avons émis l’hypothèse dans la deuxième partie d’ « Éclats de vie ».

Pourrait-il y avoir un lien entre cette énergie spirituelle et la mystérieuse énergie noire, énigme de notre époque qui empêche le monde de s’effondrer sur lui-même sous l’effet des forces de gravitation et contribue au contraire à son expansion accélérée ? Même s’il ne s’agit que d’une pure spéculation, la question est intéressante… Le simple fait de penser contribuerait donc dans cette hypothèse à l’expansion de l’univers, la pensée semblant alors porter en elle une composante « expansive », à l’instar de l’esprit humain cherchant sans cesse à repousser les limites de son savoir. Avouons qu’il est là de quoi animer la discussion philosophique !

Nous sommes pleinement conscients du caractère audacieux de cette supposition qui n’a pas de justification scientifique, mais nous ne voyons pas au nom de quoi elle devrait être considérée comme plus folle que bien d’autres actuellement à l’examen dans le monde de l’astrophysique, comme la théorie des cordes ou l’univers ekpyrotique.

*Annexe : avancées scientifiques du logiciel « OPENVIBE

Dans le domaine du traitement du signal, le projet OpenViBE a débouché sur de nouvelles techniques d’analyse et de filtrage des données et des signaux cérébraux, qui permettent d’améliorer globalement les performances des interfaces cerveau-ordinateur. Ces nouvelles techniques ont démontré qu’elles amélioraient fortement les taux de reconnaissance des activités mentales.

Autre nouveauté : le passage d’une approche traditionnellement en deux dimensions (analyse des courants électriques à la surface 2D du crâne) à une approche 3D qui propose désormais de reconstruire en temps-réel toute l’activité cérébrale à l’intérieur du crâne. Cette nouvelle approche 3D facilite la localisation des diverses sources et types d’activité dans le volume cérébral, qui permet de déduire plus aisément ce à quoi le sujet est en train de penser.

Le projet OpenViBE a également permis d’améliorer les temps d’apprentissage des technologies d’interfaces cerveau-ordinateur. Plusieurs études ont été menées avec des utilisateurs, pour déterminer combien de personnes étaient capables de contrôler rapidement une telle interface. Résultat probant : environ 30 % d’entre elles pouvaient instantanément et sans aucun entraînement contrôler un objet virtuel en ne faisant intervenir que l’activité cérébrale.

Enfin, les chercheurs envisagent maintenant d’améliorer l’ergonomie des systèmes existants. Il s’agit par exemple de mettre au point pour ces interfaces des méthodes de saisie automatique de texte par la pensée utilisant des techniques de prédiction de langage similaires à celles employées pour les textos. Les scientifiques approfondissent également la possibilité d’utiliser les propriétés de l’ouïe et de la latéralisation de l’attention pour piloter par exemple un curseur à l’écran.

Bipolarisation politique

Si l’idéal, qu’il soit d’ordre personnel ou social, est par nature inaccessible, il n’en est que plus coupable de condamner par principe les idées de ses adversaires: les contradictions internes d’un individu ne le dispensent pas de l’altruisme, pas plus que les désaccords politiques ne rendent vaine la recherche du bien commun.

Je sais bien que pour entrainer les foules, il faut proposer des idées simples, se ranger dans le camp du bien et accuser les autres du mal. Je sais aussi que pour les politiques, seule la certitude est de mise lorsqu’il s’agit de leurs propositions, et l’invective, lorsqu’il s’agit de celles des autres. Cette attitude se révèle hélas ! trop souvent payante en matière de votes. Mais l’on peut être inquiet lorsque l’on voit les effets d’une telle posture : de la conviction affichée concernant ses propres jugements à l’anéantissement de l’adversaire, il n’y a qu’un pas, le passé l’a bien montré.

Malheureusement, ce comportement se développe de plus en plus. Sans parler des fondamentalismes religieux qui en représentent la forme la plus achevée (je représente le vrai donc tu dois te soumettre ou disparaître), la tendance à la bipolarisation politique est lourde.

Voyons plutôt :

– Aux États-Unis et pour la première fois depuis l’époque de F. Roosevelt, l’opposition entre républicains et démocrates a atteint des sommets tels qu’il est devenu impossible d’obtenir le moindre consensus. L’invective est systématique : la faute à la personnalité du président, dit-on, ce qui est une très mauvaise raison. Mais quelle que soit l’origine de cette déviation, les résultats sont là : le pays se fracture et ne semble plus capable de définir une position commune quel que soit le sujet. Ceci ne peut conduire qu’au refus de l’autre, à l’anathème systématique, au développement de haines potentiellement meurtrières.

– En France, le phénomène s’amplifie tous les jours. La polarisation droite/gauche a atteint des sommets effrayants : tout ce qui est proposé par l’un est néfaste et réciproquement. Or, bien des sujets nécessitent un examen impartial, et in fine une certaine convergence. Comment résoudre les problèmes de société complexes qui se posent si seul le mépris mutuel à droit de cité ? À moins que – et c’est là l’opinion de beaucoup de Français – ces insultes ne soient que de façade, une comédie entre compères objectivement d’accord pour sauver l’essentiel : carrières et avantages attachés…, ce qui entraine une condamnation sans appel.

Que faire face à un telle dégradation ? De la même façon qu’il importe pour l’individu de rejeter toute tentation de dogmatisme, il manque en matière politique une troisième force faisant preuve de bon sens et obligeant les ayatollas des deux bords à renoncer à leur prétention à détenir seuls la vérité. Tel est le rôle traditionnel du centre et son inexistence (cas des Etats-Unis) ou sa disparition (cas de la France) est inquiétante. Dans le cas de notre pays, menacé depuis toujours de bipolarisation, la responsabilité de ceux qui ont conduit à son effacement, que ce soit par ambition ou par incompétence, est lourde. Tout doit être fait pour ressusciter le parti de la raison, celui qui refuse les idéologies simplistes et s’efforce de construire une société de consensus.

Placer haut la barre de la nécessaire mesure, qu’il s’agisse des personnes ou des sociétés humaines, rejeter la tentation du noir et blanc, telle est la seule façon de désamorcer les conflits qui menacent, à l’échelon national comme sur la scène internationale. Il est grand temps de rappeler cette évidence si nous voulons éviter la catastrophe : la bipolarisation politique n’est que l’autre face de l’intégrisme religieux, et les politiques qui condamnent ce dernier feraient bien de balayer devant leur porte.