Si l’idéal, qu’il soit d’ordre personnel ou social, est par nature inaccessible, il n’en est que plus coupable de condamner par principe les idées de ses adversaires: les contradictions internes d’un individu ne le dispensent pas de l’altruisme, pas plus que les désaccords politiques ne rendent vaine la recherche du bien commun.
Je sais bien que pour entrainer les foules, il faut proposer des idées simples, se ranger dans le camp du bien et accuser les autres du mal. Je sais aussi que pour les politiques, seule la certitude est de mise lorsqu’il s’agit de leurs propositions, et l’invective, lorsqu’il s’agit de celles des autres. Cette attitude se révèle hélas ! trop souvent payante en matière de votes. Mais l’on peut être inquiet lorsque l’on voit les effets d’une telle posture : de la conviction affichée concernant ses propres jugements à l’anéantissement de l’adversaire, il n’y a qu’un pas, le passé l’a bien montré.
Malheureusement, ce comportement se développe de plus en plus. Sans parler des fondamentalismes religieux qui en représentent la forme la plus achevée (je représente le vrai donc tu dois te soumettre ou disparaître), la tendance à la bipolarisation politique est lourde.
Voyons plutôt :
Aux États-Unis et pour la première fois depuis l’époque de F. Roosevelt, l’opposition entre républicains et démocrates a atteint des sommets tels qu’il est devenu impossible d’obtenir le moindre consensus. L’invective est systématique : la faute à la personnalité du président, dit-on, ce qui est une très mauvaise raison. Mais quelle que soit l’origine de cette déviation, les résultats sont là : le pays se fracture et ne semble plus capable de définir une position commune quel que soit le sujet. Ceci ne peut conduire qu’au refus de l’autre, à l’anathème systématique, au développement de haines potentiellement meurtrières.
En France, le phénomène s’amplifie tous les jours. La polarisation droite/gauche a atteint des sommets effrayants : tout ce qui est proposé par l’un est néfaste et réciproquement. Or, bien des sujets nécessitent un examen impartial, et in fine une certaine convergence. Comment résoudre les problèmes de société complexes qui se posent si seul le mépris mutuel à droit de cité ? À moins que – et c’est là l’opinion de beaucoup de Français – ces insultes ne soient que de façade, une comédie entre compères objectivement d’accord pour sauver l’essentiel : carrières et avantages attachés…, ce qui entraine une condamnation sans appel.
Que faire face à un telle dégradation ? De la même façon qu’il importe pour l’individu de rejeter toute tentation de dogmatisme, il manque en matière politique une troisième force faisant preuve de bon sens et obligeant les ayatollas des deux bords à renoncer à leur prétention à détenir seuls la vérité. Tel est le rôle traditionnel du centre et son inexistence (cas des Etats-Unis) ou sa disparition (cas de la France) est inquiétante. Dans le cas de notre pays, menacé depuis toujours de bipolarisation, la responsabilité de ceux qui ont conduit à son effacement, que ce soit par ambition ou par incompétence, est lourde. Tout doit être fait pour ressusciter le parti de la raison, celui qui refuse les idéologies simplistes et s’efforce de construire une société de consensus.
Placer haut la barre de la nécessaire mesure, qu’il s’agisse des personnes ou des sociétés humaines, rejeter la tentation du noir et blanc, telle est la seule façon de désamorcer les conflits qui menacent, à l’échelon national comme sur la scène internationale. Il est grand temps de rappeler cette évidence si nous voulons éviter la catastrophe : la bipolarisation politique n’est que l’autre face de l’intégrisme religieux, et les politiques qui condamnent ce dernier feraient bien de balayer devant leur porte.
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