Mot de l'auteur
Chers lecteurs,
Cyniques et Cie qui est sorti en librairie (et sur tous les sites « marchands ») le 20 janvier est le deuxième roman que j’ai consacré à notre époque et plus spécifiquement au monde des affaires. Mais le point de vue y est très différent.
Là où Un combattant*, paru en 2007, donnait l’image d’un milieu livré, sans le moindre état d’âme, à la course à la puissance et l’argent, Cyniques et Cie présente un tableau beaucoup plus nuancé.
Car le héros, mis en face d’une situation de crise, est amené à s’interroger sur ses raisons d’agir. S’il appartient par sa fonction au milieu dirigeant, avec son pouvoir et ses codes, il a conscience également d’engloutir sa vie dans une lutte sans véritable signification.
Ainsi va-t-il évoluer au gré des circonstances entre un réflexe quasi instinctif de défense contre des loups bien décidés à le dévorer et un retrait en lui-même dont la multiplication des événements qu’il affronte ne lui laisse guère le temps.
Cette dérive psychologique, cette tentation du renoncement qui saisit un homme puissant soudain livré au vertige du doute, constituent le ressort du livre au même titre que la description sans concession de la férocité d’un milieu livré au plaisir ancestral de la mise à mort – la proie d’un jour se transformant en chasseur le lendemain – , en attendant le moment inévitable où tous se trouvent déchirés à belles dents par la génération montante, aussi aveugle qu’impitoyable.
Comment se sauver des contradictions qu’il découvre en lui-même ? C’est toute la question qui se pose au héros et qu’il tentera de résoudre à sa façon.
Y parviendra-t-il ? Chacun en jugera. Disons qu’il aura franchi une étape sur la voie d’un salut, toujours remis en question, dans cette course haletante qui est celle de notre monde « déspiritualisé », livré à un provisoire dont il se grise, mais qui le laisse in fine sans souvenirs autres que cendres et ayant perdu en route l’essentiel… Même si cette conclusion peut sembler pessimiste, elle correspond bien, je crois, à la réalité.
* Un combattant devrait donner lieu prochainement à une adaptation audiovisuelle.
Recension d’Alexandre Moatti (X78), extrait de la revue La Jaune et la Rouge
Gilles Cosson poursuit sa seconde vie, celle d’écrivain prolixe et original – une dizaine d’ouvrages depuis quinze ans (signalons notamment Éclats de vie, ainsi que Thulé : une épopée au temps de la Renaissance). Sa dernière livraison, Cyniques et Cie, est aussi une épopée, qui retrace la journée mouvementée d’un patron d’entreprise, nouvel Homme pressé de notre époque. Avis de tempête lors de son conseil d’administration : Armand Blanc (le pseudonyme est si transparent que nos camarades les plus chevronnés le reconnaîtront sans aucun mal), le pape des affaires, veut la peau de notre héros. Vous découvrirez le récit de cette journée – car, à la Boileau, l’auteur respecte l’unité de temps de la tragédie classique. C’est un monde effectivement tragique, avec ses bassesses et ses faux-semblants, qu’il nous décrit finement. Et son héros, même mouillé jusqu’au cou dans ce monde, trouve finalement grâce aux yeux du lecteur par une certaine aura de fidélité qui l’entoure : fidélité à sa femme, à sa maîtresse attitrée, à un camarade de promotion dans la difficulté, à un certain nombre de valeurs qu’il cultive. Au-delà de la confrérie polytechnicienne, au-delà des tours de la Défense joliment représentées en couverture, au-delà même du monde de l’entreprise, c’est, comme dans ses autres ouvrages, à une réflexion sur les valeurs à laquelle nous invite Gilles Cosson dans cette brillante sotie.
Entretien avec Aline Fauvarque, journaliste économie finance
Gilles Cosson, pouvez-vous nous dire pourquoi vous avez écrit « Cyniques et Cie ? S’agit-il d’une œuvre autobiographique ?
Il ne s’agit en aucun cas d’une œuvre autobiographique. Bien entendu les héros de mes différents romans me sont proches, au même titre que le personnage central de « Cyniques et Cie ». Je rappelle que j’ai écrit voici quelques années un autre livre relatif au monde des affaires : « Un combattant » qui mettait en scène un chef d’entreprise sans état d’âme. Il me semble qu’un romancier s’efforce toujours de créer des personnages qui représentent diverses facettes de lui-même au travers de situations imaginaires.
Sans états d’âme ? Serait-ce une caractéristique du monde des affaires ?
Evidemment! J’ai appartenu à ce milieu en d’autres temps et ai gardé en mémoire ses us et coutumes. Quand je vois l’affaire Kerviel ou le scandale Madoff avec leur appât du gain généralisé et leurs vertueuses indignations, disons que je ne suis pas surpris… J’essaye donc dans mon nouveau livre de rendre compte de la cruauté, mais aussi de la lucidité sans illusion du monde dirigeant d’aujourd’hui. Il convient dans ce monde là d’avoir toujours une longueur d’avance sur les événements en dehors de toute considération morale. C’est ce coup d’œil, à la fois désabusé et cynique que je m’efforce de faire ressortir.
Coup d’œil cynique, dites-vous ?
Un chef d’entreprise doit savoir naviguer entre les écueils quels qu’ils soient : financiers, politiques ou personnels avec un seul souci en tête, celui de l’efficacité, et peu importe les décombres sur le chemin !
Idéal versus efficacité, le combat est-il perdu pour le premier ?
Cette question est certainement un des points importants du livre. À l’occasion d’une journée où il risque de perdre son poste, le héros s’interroge sur ses raisons d’agir et il s’aperçoit de toute l’ambiguïté de sa position : à la fois attiré par le réalisme redoutable du milieu qu’il côtoie et effrayé par l’absence d’idéal, disons de « signification » au sens noble du terme, de son action.
Certains des personnages que vous décrivez font penser à des figures bien connues du monde des affaires…
Toute ressemblance avec des personnes vivantes ou non ne pourrait être que pure coïncidence. Bien entendu, il est des caractéristiques communes aux acteurs de ce milieu, mais il serait tout à fait vain de vouloir mettre un nom sur tel ou tel personnage du roman.
La tonalité de votre livre est globalement pessimiste. Les dirigeants seraient-ils incapables de mettre leurs actes en rapport avec la morale ?
La morale est une chose, les affaires en sont une autre. Cela a été et reste vrai dans toutes les civilisations et sous tous les régimes. Comme je le rappelle dans le livre, ni les Soviétiques à l’époque, ni les Américains, ni les Chinois, pour prendre quelques exemples, ne s’embarrassaient ou ne s’embarrassent de considérations morales lorsqu’il s’agit de leurs intérêts. Telle est la règle du jeu et celui qui n’est pas prêt à la jouer n’a pas sa place dans le monde des puissants.
Aucun espoir donc pour quelqu’un qui mettrait au premier plan des règles éthiques ?
Je pense qu’il faudrait être bien fou pour ne pas jouer la partie comme il convient dans l’univers globalisé d’aujourd’hui : l’angélisme n’y a pas sa place. Et quand je dis la jouer comme il convient, j’entends la jouer avec toute la froideur nécessaire. Mais il ne faut pas mélanger les moyens et les fins en oubliant ces dernières, ce qui est trop souvent le cas. La lucidité, l’énergie, le cynisme même, face à des adversaires déterminés et qui ne vous feront aucun cadeau, quelle que soit leur nationalité, sont des moyens qu’il faut savoir utiliser. « Rendons à César… ». Le problème des fins, celui de l’intérêt général, celui de la morale personnelle, plus généralement celui du « sens », appartiennent à un autre univers qui fixe les bornes qu’il convient de ne pas dépasser et permettent à l’individu de garder le cap à long terme.
Vous est-il arrivé d’éprouver pour un homme d’affaires de l’admiration ?
Oui, cela m’est arrivé, bien sûr, plus, je dois le dire, pour de grands industriels que pour de brillants financiers. Il me semble que le monde financier d’aujourd’hui a passé les bornes de la décence. Lorsque j’entends le patron de Goldmann Sachs dire sans rire qu’il a le sentiment d’agir dans le sens voulu par Dieu, je me prends la tête entre les mains en me demandant si je deviens fou. Mais j’ai gardé beaucoup de respect et même d’affection pour certains grands industriels que j’ai connus.
Qui par exemple ?
Pour ne mettre personne mal à l’aise, car je pourrais citer plusieurs noms, je citerai quelqu’un qui est mort : Georges Besse, l’un des pères du programme nucléaire français, que j’ai eu le privilège de bien connaître était un de ces hommes là : conscient des réalités, jouant le jeu nécessaire avec toute son intelligence, mais aussi exigeant pour lui-même, aimant profondément son pays, soucieux du bien public. Cela ne lui a pas porté chance puisqu’il a été assassiné, mais il reste pour moi un modèle.
Et parmi les hommes politiques ?
Il me semble qu’en politique plus encore qu’en affaires, il faut être particulièrement roué pour réussir : il faut avoir un cuir de crocodile pour résister à tous les assauts, une âme de tueur pour régler leur compte à ses adversaires, et même à ses amis (rire…), un sens aigu de la formule qui va plaire à la foule, même s’il n’y a rien derrière. Tout cela n’est pas vraiment enthousiasmant. Mais de temps à autre, face à des situations dramatiques, un homme exceptionnel s’affirme devant lequel l’on ne peut que s’incliner. Pensons à Churchill ou à de Gaulle. Ce n’étaient pas des saints, mais ils portaient en eux un socle de valeurs fondamentales, y compris spirituelles, qui leur ont permis de réaliser des miracles.
Vous parlez de valeurs spirituelles. Cela compte-t-il pour vous ?
Oui, beaucoup. Je leur ai d’ailleurs consacré plusieurs essais. Il me semble que notre monde se meurt d’une absence de valeurs spirituelles adaptées à notre temps. Je projette d’ailleurs de refondre en un seul volume les ouvrages que j’ai consacrés à ce sujet. Il s’agit pour moi d’un problème absolument central. Mais ce n’est pas l’objet de votre interview…
Ne pouvez-vous nous dire un mot de vos idées à ce sujet ?
Disons que pour moi le temps des certitudes en matière religieuse est révolu. L’inadaptation des religions révélées à la complexité du monde d’aujourd’hui m’effraye. Je pense qu’il convient de séparer valeurs morales et recherche spirituelle. Bien que celle-ci ne doive jamais connaître de solution définitive, elle me semble aussi nécessaire à l’homme que le boire et le manger. Il convient donc d’en préciser la méthode et les objectifs.
Si je vous demandais de vous situer en quelques mots ?
Concernant le monde des affaires, je me considère comme un « has been » définitif et d’ailleurs mon âge rend cela évident. En matière intellectuelle, je serais plutôt un chercheur, jamais rassasié et admiratif devant la grandeur de l’esprit humain. En matière spirituelle enfin, je me vois comme un guetteur.
Que voulez-vous dire ?
Oui, un guetteur, quelqu’un qui cherche à discerner l’approche de l’Eternel sous une forme adaptée à notre époque de formidables mutations.
Propos recueillis par Aline Fauvarque, journaliste Economie Finance
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