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Photo du rédacteurGilles Cosson

En Montagne




Une nuit de pleine lune


Plongé dans la contemplation de la fresque des chevaux dominant celle des rhinocéros laineux, je méditais en silence. Il était neuf heures du matin, un jour de novembre pluvieux sur les rives de l’Ardèche et les visiteurs étaient rares. Pas de bruit : l’atmosphère était au recueillement…

Je ressentais au fond de moi-même l’émotion quasi religieuse, suscitée par les dessins tracés sur les parois de pierre de la grotte Chauvet voilà plus de trente mille ans et je croyais voir alentour nos ancêtres, si lointains et pourtant si proches m’invitant à les accompagner dans ce repère souterrain riche de signification.

Le plus incroyable était de penser que selon les spécialistes quatre mille ans séparaient les premières des dernières représentations fixées sur les murs. N’était-il pas stupéfiant de penser qu’en une si longue période rien de marquant dans l’évolution humaine ne semblait s’être passé, espace de temps qui avait pourtant conduit l’humanité des premières pyramides à l’intelligence artificielle… ? Des centaines de générations s’étaient écoulées laissant les hommes de ces époques reculées face à l’éternel problème de leur destin sur cette terre. Cherchant dans des représentations animales le sens caché de leur vie, leur travail était un hommage autant qu’une éternelle interrogation … Grande était l’humilité et la patience en ces temps disparus !

Alors, en cet instant de contemplation sereine, j’eus le sentiment de faire partie d’un cortège. Torches en main, deux hommes cheminaient avec moi, entrant toujours plus avant dans ce vaste espace souterrain pour invoquer la protection des grands animaux nécessaires à leur survie. L’existence était si brève entre la faim et les dangers de la chasse… Ainsi allaient mes compagnons taciturnes, charbon de bois en main, à la recherche des Esprits mystérieux dont ils ressentaient la présence… Les choses avaient-elle tellement changé ?

Au bout d’une heure de silence, je sortis, ému par cette rencontre qui faisait suite à celles de Lascaux ou des Pyrénées espagnoles, Altamira, Isturitz, et d’autres, plus anciennes encore. Les artistes d’autrefois avaient ainsi laissé des représentations picturales

aussi magnifiques que signifiantes à leurs lointains descendants… Belle leçon de modestie ! Qu’en serait-il dans trente mille ans, serions- nous même encore là pour témoigner de la beauté du monde ? J’en doutais, tant l’accélération de l’histoire faisait reculer de plus en plus vite le présent dans l’oubli… Quant à l’avenir, je préférais ne pas y penser…

Comme il était curieux ensuite de retrouver les collines ardéchoises livrées à la circulation après ce temps suspendu ! L’esprit tourmenté par cette rencontre imaginaire, je décidais de la poursuivre en passant par Pont d’Arc, surplomb naturel sous lequel l’Ardèche se coule dans le couloir étroit qui va l’amener au Rhône, cinquante kilomètres plus loin. La rivière tumultueuse s’enfonçait dans la pénombre au milieu des tourbillons et la traversée des gorges en canoë n’était plus de saison. Mais parcourir la route des crêtes sous les gros nuages parsemés d’éclaircies représentait une excursion intéressante.

La route s’élevait peu à peu dans un paysage quasiment désert ne laissant entrevoir que de vastes forêts formées pour l’essentiel de petits chênes verts. La solitude était grande lorsqu’un troupeau de chèvres sauvages croisa mon chemin, m’obligeant à un arrêt inattendu : Deux boucs barbichus régnaient sur quelques biquettes et plusieurs jeunes cabris. Tout ce petit monde, libre de vivre comme il l’entendait en ces lieux solitaires ne s’intéressait nullement à ma présence. Alors je les regardai un moment, admirant leur innocence, troupeau libre d’attache m’accueillant comme on perçoit une bizarrerie dans laquelle les millénaires ne comptent guère. Les chevreaux se serraient de près pour se protéger, mais les boucs impérieux détournaient la tête pour mieux manifester leur indifférence. Au bout d’un moment cependant, devant ma volonté d’avancer, les animaux firent retraite pour rentrer dans une forêt qui leur appartenait de droit. C’était une belle leçon d’intemporalité, ramenant à l’insignifiance les êtres impatients que nous étions. Cela me rappelait les grands espaces que j’avais connus : ceux des rennes dans les austères solitudes laponnes ou des yacks thibétains empêtrés dans leur fourrure et dédaignant là encore mon approche avec une désinvolture supérieure.

Alors je constatai que le temps passait et qu’il était temps de rejoindre le petit chalet des Hautes-Alpes qui m’attendait pour quelques jours… Il faisait doux et en remontant la vallée de Die suivi du col de Cabre, je pus apercevoir le pic de Bure et les aiguilles de Chabrières dominant Gap et Embrun. La fin d’automne marquée sans doute par le réchauffement climatique ne laissait entrevoir la neige qu’en haute altitude et encore par plaques au-dessus de deux mille cinq cents mètres. Puis, la nuit tombée, je gagnai mon modeste logis et me mis en mesure de préparer un repas sommaire, conforme aux maigres courses emportées le matin. La maison était froide et seul le poêle aussitôt allumé donnait un peu de chaleur. Puis je me couchai vers onze heures, convaincus que c’est ce que j’avais de mieux à faire. Une pluie désagréable balayait l’horizon.

Le lendemain, les averses tombèrent sans discontinuer et, un peu déçus par cet accueil humide, je restai en basse altitude. La Guisane gonflée par les ondées grondait dans la vallée obscure et les montagnes, plongées dans la brume ne laissaient rien apercevoir qu’un horizon bouché. Mais j’avais pu parcourir la haute vallée de la Clarée et j’étais content de ma journée, fatigué par une longue marche et heureux de regagner ma couche. Puis je me couchai satisfait.

Vers cinq heures du matin, je me réveillai et remarquai au sol une tache de lumière due au Velux qui me dominait. Alors je me levai : le ciel s’était dégagé et la pleine lune illuminait le ciel. C’est elle qui m’avait réveillé. Intrigué par ce demi-jour, je me dirigeai vers la baie qui donnait sur les lointains et aperçus en face de moi la ligne de crête qui barrait l’horizon.

Elle était éclatante de lumière. Dans la soirée, le temps s’était refroidi et une neige nouvelle couvrait la montagne au-dessus de mille huit cents mètres environ. C’était un spectacle magnifique auquel seules la lune et les étoiles donnaient vie, les lumières du village étant éteintes de dix heures au petit matin. Cette disposition économe avait l’avantage de restituer à l’obscurité toute sa profondeur, accentuant la splendeur de la majestueuse chaîne éclairée par l’astre des nuits.

Je m’arrêtai silencieux et, me couvrant d’un plaid, j’évoquai le souvenir de la grotte Chauvet, tentant de me rattacher à ces époques glacées ce lointain passé où nos ancêtres s’étaient retrouvés seuls face au firmament étoilé. Et je me sentis bouleversé par le sentiment de permanence qui se levait en moi : non, rien n’avait changé et l’extraordinaire beauté naturelle qui me faisait face était éternelle, soulevant en moi des sensations singulières. On y trouvait mêlée la crainte et l’admiration, crainte que le ciel nous tombe sur la tête, à moins qu’il ne s’agisse du réchauffement climatique, et sentiment diffus de vénération devant la nature qui avait fait le monde si grand et si beau. Mes regards se portèrent sur les divers sommets qui se détachaient sur le ciel avec une extraordinaire netteté. Et le sentiment m’envahit que j’étais revenu parmi mes prédécesseurs : autour de moi dormaient hommes, femmes et enfants, enroulés dans leurs fourrures et j’étais seul éveillé, rendant hommage à ceux qui avaient bien voulu me laisser vivre, craignant la fin des temps et implorant le secours des Dieux…

Alors les catastrophes qui marquaient notre temps se rappelèrent à moi. Partagée entre la vie facile offerte par les possibilités d’aujourd’hui et les guerres si proches, le monde offrait un visage trop souvent effrayant : excès d’informations inutiles, mais aussi maisons déchiquetées, ruines fumantes, brutes livrées au viol et à l’assassinat. Pourtant, à l’instar des peintres de la grotte Chauvet, existaient aujourd’hui encore des hommes qui donnaient le meilleur d’eux-mêmes à la recherche du beau, hommage inconscient à l’éternité, comme si l’Esprit qui veille sur l’univers tenait à nous présenter simultanément ses deux faces : l’une, celle de la puissance cruelle tentant une fois de plus de prendre la primauté sur celle de la sagesse et de la méditation. Et, face à son destin incompréhensible, l’homme se levait aujourd’hui comme hier pour affirmer à la face du monde une singularité essentielle : l’affirmation de la gloire éternelle de l’artiste devant son sort fragile.

Et je me sentis rassuré, par les chefs d’œuvre d’hier et d’aujourd’hui destinés à combler chez l’homme l’angoisse de la mort aussi inévitable qu’imprévisible. Le désordre, la barbarie, l’inhumanité ne régnaient que pour livrer cette nuit étoilée à ses créatures pour les convier à l’essentiel. Puis, rejoignant ma couche, je me rendormir paisiblement.

Au matin, tout était redevenu normal : la chaîne enneigée était à demi-cachée par quelques nuages, les maisons autour de nous avaient repris leur vie quotidienne, mais restait dans ma tête un éblouissement qui maintiendrait en moi l’espérance quoi qu’il pût m’advenir maintenant …



2/ Une histoire démodée


L’on était en morte saison. Les touristes étaient partis depuis longtemps et novembre s’annonçait. Journées tristes, comme il est bien connu, où la lumière diminue rapidement, où les dernières feuilles s’envolent, où les oiseaux se terrent. Seuls les mélèzes donnent un concert d’adieu en se parant d’une belle couleur rousse réservée aux rares après-midis de soleil. Et puis, dans le Briançonnais, à quatorze cents mètres d’altitude, la neige menace, avec des changements de température qui déconcertent : un jour on gèle si le vent du Nord souffle, le lendemain, la pluie revient avec la fameuse « Lombarde », le vent d’Italie qui déverse ses trombes d’eau, en attendant les blizzards de décembre qui peuvent durer et rendre les routes impraticables…

Dans les stations d’altitude, habituellement riches en services de toutes sortes, il est très difficile de trouver encore un négoce ouvert. Les saisonniers ont disparu avec les estivants, les amateurs de sports d’hiver ne sont pas encore arrivés bref, il n’y a plus personne ou presque. Car les habitants permanents sont très peu nombreux, bref le sommeil semble s’être emparé des derniers résidents.

*

Ce jour-là nous avions pris la route de notre petit chalet pour une réparation urgente : une fuite d’eau s’était déclarée dans la cuisine, ce qui pouvait tourner à la catastrophe le gel venu. Nous avions ouvert les volets, mis les radiateurs en service et attendions le soir même le plombier de la ville qui nous avait promis d’intervenir. Mais, pris par l’habitude, nous avions pensé trouver des boutiques ouvertes et avions donc oublié d’apporter de quoi subvenir à nos besoins : pas de pain, pas de jambon, pas de confitures ni d’œufs, en somme le vide sidéral. La famine menaçait…

Fort heureusement ma femme se souvint d’un commerce dont elle avait entendu parler, situé dans le village voisin, à quelques kilomètres. Un artisan local lui avait signalé que l’on y trouvait de tout, à condition que la boutique soit ouverte. Quand ? Il ne le savait pas. Le lieu était lui-même incertain, près du modeste centre de la bourgade, sur la route, non loin du petit bureau de poste local ouvert l’après-midi seulement.

Nous nous élançâmes pendant qu’il était encore temps vers l’endroit où nous avions une chance de trouver le nécessaire…

*

Nous arrivions au centre du village : il était cinq heures et demie, la huit tombait déjà avec l’horaire d’hiver ; tout semblait désert. Pourtant, au-delà de la poste déjà fermée, une lumière brillait sur une devanture sans enseigne et, tels des papillons, nous nous précipitâmes vers elle, craignant une prochaine fermeture.

Nous n’étions jamais venus là, pris comme tant d’autres par les facilités offertes aux touristes oubliant que pendant des siècles d’inlassables travailleurs avaient gratté le sol de ces lieux difficiles, faisant paitre leurs moutons pour subsister. Il en restait quelques-uns, s’échinant à mettre en valeur leurs carrés d’oignons et de pommes de terre en attendant de vendre leurs lopins, au prix fort bien entendu. Dans ces époques lointaines lorsque le froid approchait, on s’enfonçait au plus profond de salles à demi souterraines pour mieux conserver la chaleur. L’étable attenante contribuait à réchauffer l’atmosphère et de petites fenêtres, à moitié enterrées étaient protégées par un muret pour ne pas être ensevelies par la neige. Quant à l’épicerie locale, elle était depuis, toujours le point de ralliement de la population…

Nous poussâmes la porte avec curiosité. Une salle de modeste dimension nous attendait, encombrée de multiples denrées juchées sur des étagères poussiéreuses. On y apercevait distribués au hasard des boites de conserve, des féculents, mais aussi suspendu au plafond un jambon sans oublier quelques légumes à proximité du comptoir. Dans ce bazar à l’ancienne, il n’y avait personne : n’importe qui aurait pu venir se servir sans être découvert, mais l’honnêteté proverbiale des montagnards évitait ce risque. Le temps n’était pas si loin où l’on trouvait en plein hiver de vieux chalet d’altitude avec une ou deux pièces ouvertes pour sauver les hommes perdus dans la tourmente. Le danger cimentait les communautés bien mieux que les lois répressives actuelles.

Après quelques minutes d’attente incrédule, nous eûmes recours au fameux : « y a quelqu’un » ? Alors une porte intérieure s’ouvrit et nous vîmes apparaitre une petite dame âgée, mais alerte ; elle devait avoir une bonne septantaine comme disent les Suisses. Vêtue de noir avec de beaux yeux bleus et une cascade de cheveux blancs qui encadraient un visage ridé, elle s’avança vers nous avec un sourire.

– Nous sommes désolés de vous déranger, Madame.

– Mais pourquoi ? Je suis là pour ça. Que désirez-vous ?

Alors nous fîmes une liste qui comprenait l’indispensable. D’un pas léger, elle trottina d’une étagère à l’autre, rapportant une tomme d’âge respectable, des boites de sardines, des pâtes et quelques salades qui semblaient avoir longuement attendus l’acheteur. Mais il nous manquait une denrée. 

-Nous prendrions bien un peu de votre jambon fumé, dis-je en désignant la solive qui nous surmontait.

-Ah, pour cela, je dois appeler mon mari. Donnez-moi une seconde…

Et elle passa son visage de l’autre côté de la porte.

-Raymond, dit-elle. Peux-tu venir ?

Alors nous vîmes apparaitre le maître de maison. Un peu plus vieux que sa femme, il devait approcher quatre-vingt ans. Doté d’un certain embonpoint, il avait une figure ouverte et sympathique.

– Bonjour, nous dit-il. Le jambon, c’est ma partie : cuit à l’ancienne et mis à sécher le temps qu’il faut. Combien de tranches voulez-vous ?

-Disons quatre : pour les deux jours qui viennent, il nous faut bien ça…

Alors le vieil homme sortit un escabeau de dessous l’étagère et monta prudemment quelques marches. Puis il souleva le jambon, déjà bien entamé et le posa sur le comptoir. D’un geste expérimenté, il découpa quatre tranches de la bonne épaisseur.

-Et voilà. Avec ça, vous pourrez vous contenter…

La femme avait observé son mari avec l’attention indulgente que l’on a pour un très ancien compagnon.

-Alors, comme cela, dit-elle avec curiosité, vous êtes là pour quelque temps ?

-Un problème de fuite d’eau, répondis-je. Malheureusement, nous devrons repartir bientôt. Vous êtes ouverts tous les jours ?

– De huit heures du matin à six heures le soir et même le dimanche jusqu’à midi.

– Vous avez du monde toute l’année ?

-Pas beaucoup, mais les gens sont fidèles. Pour les grandes courses, ils vont à la ville, mais pour les petites, ils viennent faire leurs emplettes et bavarder un peu. Cela leur fait du bien, et à nous aussi.

-Pardonnez-moi d’être indiscrète, dit mon épouse prenant la parole. Vous êtes là depuis longtemps ?

Tous deux parurent réfléchir un peu.

– Eh bien, cela doit faire cinquante et un an, dit la femme si je compte juste. Deux ans après notre mariage. Qu’en penses-tu Raymond ?

-Trois ans avant la grande tourmente, cela doit faire le compte.

– De quelle tourmente parlez-vous ?

– C’était en cinquante-neuf, reprit le vieux, je m’en souviens très bien. Trois jours de neige avec une lombarde à décorner les bœufs ; et le maire perdu dans la tempête…

– Nous n’avons jamais revu ça, intervint la femme avec émotion.

– Le maire perdu ?

– Il était monté à l’estive pour mettre la cabane en ordre avant les froids, le terrain était libre, et tout d’un coup, le blizzard. Personne ne s’y attendait et la météo n’était pas ce qu’elle est devenue… Alors il est resté là-haut et il a attendu : il n’avait pas grand-chose à manger et, avec le gel…

– Et vous l’avez retrouvé ?

– Trois jours après. Nous sommes partis une dizaine, avec des skis à l’ancienne : quatre heures de montée dans la neige si épaisse que malgré nos bois on s’y enfonçait jusqu’au ventre. Et en haut, la cabane, disparue sous deux mètres de neige. Il vivait encore, enveloppé dans une peau de mouton et à moitié gelé…Heureusement, nous avions de la fine : ça l’a remis debout…

– En voilà une histoire !

– Vous pouvez le dire, reprirent-ils ensemble. Tous deux en frissonnaient encore.

` Nous restâmes un instant silencieux. C’avait clairement été l’événement de leur vie.

– Et vous n’avez jamais eu envie de bouger ?

– Pourquoi faire, reprit le mari. Nous avons été heureux ici. Et puis nos enfants viennent nous voir.

-Ils sont loin ?

-Nous avons un fils à Briançon. Il est moniteur à Montgenèvre, dit la femme avec fierté. Et une fille mariée à Gap avec quatre garçons déjà grands. Nous ne sommes pas seuls comme vous voyez. Et vous ?

– Nous en sommes à trois, deux garçons et une fille et ce n’est peut-être pas fini. La plus grande a déjà dix ans…

– C’est très bien, dit Raymond sentencieux. Pour les enfants, il ne faut pas aller trop vite, sinon ils se perdent en route. Vous n’avez plus besoin de rien ?

-Non, je crois que nous avons tout ce qu’il faut.

-Revenez nous voir, dit la femme, cela nous fera plaisir.

-Nous reviendrons, répondîmes-nous en cœur. Nous ne sommes pas très loin. Au Bez, vous voyez ?

– Dans ma jeunesse, j’y allais souvent à pied reprit la femme, pour rendre visite à des cousins…C’est là que j’ai rencontré mon mari, chez le maréchal ferrant : il venait clouter le mulet de son père ; je parle des années cinquante…

– Ce n’est pas d’hier, en effet. Eh bien, à bientôt donc.

– C’est cela, à bientôt, dit Raymond et sa femme nous fit un sourire d’adieu.

Et nous sortîmes. La station spatiale venait d’accueillir deux visiteurs de plus, l’intelligence artificielle travaillait sur de nouvelles applications au secteur médical, des fusées hypersoniques étaient au programme, et ils étaient là, loin de toute agitation inutile, sagement réunis dans leur maison modeste, celle où ils résidaient depuis leur mariage, cinquante années plus tôt.

Où était la sagesse, nous demandions-nous ? Chez eux, héritiers d’une tradition antique ou chez nous, courant d’un endroit à l’autre sans jamais de repos ? On pouvait en discuter… En sortant, nous jetâmes un dernier regard à la porte du magasin. La lumière venait de s’éteindre, nous avions été les derniers clients…



3/ Un mariage montagnard




On était le 16 avril et la station fermait ce soir. La saison d’hiver était terminée. Demain, il n’y aurait plus personne : les rares commerces encore ouverts liquidaient leurs stocks, les denrées non périssables étaient mises à l’abri en attendant l’été, et demain tout serait clos. Aujourd’hui déjà, dans une ambiance de fin de règne, les télécabines avaient tourné au ralenti et les magasins étaient restés entrouverts, la clé sur la porte. Les pistes dans le bas de la station étaient devenues des couloirs de neige entretenus à grand peine par des pisteurs fatigués, les skieurs se comptaient sur les doigts de la main….

Ainsi le temps des séparations était venu. Mais entre les moniteurs brunis par le soleil d’hiver, des considérations mélancoliques s’échangeaient. Les uns allaient se reconvertir en maçons face aux besoins des constructions nouvelles, les autres se préparaient à devenir sauveteurs de plage ou animateurs de camps de vacances. Mais pour tous les amoureux de la neige dont j’étais, cette fermeture était un déchirement, comme si la pureté liée à la froidure allait elle aussi disparaitre. Qu’allait-il rester de l’égalité provisoire entre salariés modestes et riches hivernants, entre jeunes filles cherchant l’aventure et éclaireurs de pistes avertis, qu’allaient devenir ces idylles, éteintes à peine écloses, qui avaient marqué bien des cœurs ? La mélancolie régnait

Le soir tomba sur les télésièges endormis et les pentes abandonnées. Même les voitures avaient disparu, allant là où règnent le quotidien, le sérieux et le travail. La montagne se reposait de tant de bruit, d’espérances et de folie.

Nous étions là pour un ou deux jours encore, libérés par l’âge des obligations professionnelles et attendant de rentrer au bercail où nous attendaient enfants et petits-enfants, mais aussi toutes les contraintes du quotidien. En descendant vers la vallée, nous allions trouver les premiers bourgeons et les prés reverdis : le printemps était de retour.

J’avais fait un tour au village ce soir, passant devant l’église : un mariage se préparait. Des décorations avaient été placées sur la grand porte et des couronnes de fleurs blanches suspendues sur les piliers présageaient un événement joyeux. La vie s’en allait, mais le renouveau s’annonçait …

Tout cela, je le savais et pourtant, la nostalgie m’habitait ; celle des tempêtes de neige sur les cols, du soleil sur les sommets, du rideau de poudreuse enlevé par le vent des cimes et du joyeux brouhaha des gens rentrant skis sur l’épaule de leurs descentes partagées.

Nous gagnâmes notre lit, étonné du silence et constatant que, pour la première fois depuis décembre, une municipalité économe avait éteint l’éclairage. Il devait être onze heures lorsque nous décidâmes de gagner notre lit, plongés dans une obscurité aussi totale qu’inhabituelle. Puis nous nous endormîmes paisiblement.

Vers minuit, sans savoir pourquoi, je me réveillai et décidai d’aller jeter un dernier coup d’œil au décor qui nous faisait face. C’était un jour de pleine lune, la neige réfléchissait la lueur céleste et je me dirigeai vers la fenêtre pour contempler une dernière fois les pentes enneigées. Là, une surprise m’attendait.

*

Toutes les pistes étaient illuminées par les projecteurs servant à baliser les compétitions nocturnes, proposées de temps à autres aux amateurs de descentes difficiles. Les étoiles resplendissaient dans un ciel sans nuages, mais ce qui me stupéfia, c’était le spectacle surréaliste des pentes vides : offertes à qui et pourquoi ? On pouvait se le demander. Quelque vérification électrique peut-être, à moins qu’il ne se fût agi d’une erreur involontaire ?

L’événement était si surprenant que je sortis mes jumelles, utiles lors des sorties de refuges pour admirer, la nuit venue, le spectacle des glaciers. Ainsi parcourus-je du regard le versant désert qui me faisait face pour y découvrir une activité justifiant cette fête inattendue… Mais je ne discernai rien en dehors de la majesté de ce théâtre immobile.

Alors que j’allais regagner ma couche, j’aperçus soudain une lueur en mouvement et très vite, je compris la raison de mon attente. C’était les pisteurs qui, comme ils le faisaient pour Noël et le Jour de l’an, commençaient à descendre la trace qui me faisait face. Bientôt, un long ruban se fit jour : une bonne trentaine de moniteurs, descendaient, torches à la main, vers la station endormie.

Frappé par la beauté de cette scène imprévue, j’observai ce serpent lumineux. En tête cheminait quelque chef improvisé, le plus ancien des pisteurs sans doute, et derrière suivait la cohorte des participants, serviteurs modestes de cette nuit incandescente. Les pics brillaient à la lune, les mélèzes faisaient ombre à cette féérie de lumière, les pentes tournaient leur visage vers l’infini, tout était silence et paix.

L’instant était solennel : ceux qui avaient présidé à toute l’agitation de ces mois d’hiver disaient maintenant adieu à la montagne qui les avait fait vivre, la laissant revenir à sa quiétude originelle… Les foules bruyantes parties, laissant la station orpheline, les moniteurs avaient décidé d’offrir ensemble un dernier hommage aux neiges envolées et aux amours défuntes. La scène avait quelque chose de religieux…

La descente continuait, faite de virages difficiles, le tout dans une sérénité parfaite. J’avais ouvert la porte extérieure, donnant sur la terrasse et j’étais appuyé au balcon. Il faisait froid, un coup de gel nocturne figeait bêtes et gens. Chaque participant prenait garde d’exécuter au mieux cette danse rituelle prodiguée aux astres taciturnes. Sans doute la scène avait-elle un sens caché remontant aux temps les plus anciens, avec leurs païennes déités ?

Le bas de la descente approchait. Une fois le premier arrivé sur l’esplanade, les autres firent cercle autour de lui : c’était un spectacle étrange que celui de ces spectres, torches en main, réunis pour quelque sacrifice mystérieux. Mais la vraie raison de l’événement allait maintenant se révéler :

S’extrayant du cercle apparurent alors un homme et une femme. Autour d’eux le cercle se reforma, opaque. Et je vis alors les bâtons de tous ces montagnards se rejoindre en voute au-dessus du couple immobile. C’était cela la réponse à toute cette effervescence : les serviteurs des cimes, avant de se séparer, avait décidé de saluer à leur façon le mariage qui se préparait.

J’étais ému par ce témoignage fraternel, aussi beau que clandestin. Et alors que je pensais que tout était fini, j’entendis, chanté par le chœur des entraineurs réunis, le poème de Jacques Brel :


Ne me quitte pas,

Je ne vais plus pleurer Ne me quitte pas, Je ne vais plus parler Je me cacherai là

À te regarder Danser et sourire Chanter et puis rire… Ne me quitte pas !


Ils avaient dû répéter cet air, me dis-je, car le chant était harmonieux. Quoiqu’il en fût, la cérémonie était prenante : plutôt que de réciter demain à l’office quelque traditionnelle exhortation, les moniteurs avaient décidé d’offrir cette chanson au couple de ceux qui, issus de leur espace de froidure, avaient décidé d’unir leurs vies.

Et même si de longues années m’avaient rendu un peu cynique, je ne pus m’empêcher de me sentir remué devant ce symbole de la plus belle illusion du monde : celle qui pense que l’amour est éternel. Mais qu’est-ce que le monde sans amour sinon une triste équipée sans origine ni fin…. L’univers est fait de contradictions !

Et Vive les mariés !



               4/ Retour à la sérénité


C’étaient les vacances de février. J’étais présent dans le chalet familial en compagnie de ma femme et de plusieurs petits enfants dont une petite fille qui nous avait été confiée, ses parents ayant décidé de passer quelques jours de randonnée dans le Queyras. La maison le soir venu bruissait des rires et des jeux d’une jeunesse sportive qui oubliait ainsi les obligations des études et les bizarrerie des professeurs…`

Ma compagne ayant décidé de se consacrer ce matin-là à la petite Flore et la bande des jeunes étant partie vers les sommets alentours, j’avais honteusement profité de la circonstance pour faire l’excursion que je projetais. J’étais donc parti solitaire pour une balade à ski de fond vers le petit village du Lauzet, au pied du col du Lautaret. C’est là que Madame Carles, dont le nom est resté célèbre dans nos vallées des Hautes Alpes, avait été institutrice pendant quelques années dans les années trente ; ses intelligentes observations constituaient un témoignage unique sur la vie quotidienne d’une contrée très pauvre, vivant de ses prés et de ses moutons. La localité était alors un tout petit village, avec un gite nommé Castel Pèlerin en souvenir des châteaux francs construits par les croisés sur les hauteurs de Palestine…`

` *

Il devait être environ dix heures du matin lorsqu’après avoir laissé la voiture à l’orée du bourg du Casset, je m’élançai pour ma petite expédition. Il faisait gris et l’atmosphère était froide. Quelques flocons tombaient de temps à autre. J’avais décidé d’emprunter au travers d’un bois de mélèzes l’itinéraire surplombant les pistes de fond, au bas de la vallée. Je commençais donc par m’élever au travers des champs pour atteindre le sentier peu fréquenté qui se hissait vers mon but. L’ascension était aisée et l’épaisseur de neige raisonnable. Après un quart d’heure, j’arrivai devant un important rucher, endormi à cette saison, et trouvai le chemin mal tracé qui allait me conduire à destination. Quelques traces de randonneurs y étaient visibles, je n’avais qu’à les suivre.

Ainsi montai-je sans trop d’efforts pendant près de deux heures. De temps à autre, profitant d’une éclaircie, j’apercevais sur l’autre rive quelques grosses maisons avec leurs étables, gites des paysans accrochés à leurs traditions pastorales, mais aussi quelques petits hôtels montagnards fréquentés par des randonneurs, sans oublier la traversée du quarante-cinquième parallèle, visible à la jumelle sur une pancarte dont je connaissais l’emplacement.

En ce matin d’hiver, le réchauffement climatique se faisait oublier dans cette contrée livrée aux chamois et aux bouquetins. J’apercevais leurs traces gracieuses, les sabots graciles ayant laissé dans la neige des marques de piétinement. Ah, ce réchauffement climatique ! Les glaciers cet été avaient beaucoup fondu, abandonnant des moraines lugubres et, tout en admirant le paysage, je m’interrogeai en marchant : qu’allait-il se passer. La saison froide raccourcissait et l’épaisseur de neige était devenue imprévisible car en décembre les grandes tourmentes de poudreuse liées à la célèbre « Lombarde », le vent d’Italie, apportaient maintenant plus de pluie que de neige ; or c’est à ce moment-là que se forme la sous-couche qui maintient les pieds de la montagne au frais jusqu’au printemps… Ainsi notai-je qu’en ce début février l’épaisseur était limite. Mais j’étais porté par la joie de ma promenade et je n’avais pas l’intention de me laisser distraire par ces sombres réflexions.

Alors que j’approchai de mon but, je croisai un homme étrange. Vêtu à l’ancienne d’une houppelande de mouton et portant de hautes chausses de feutre rentrées dans des raquettes, il descendait des crêtes, à en juger par sa trace que j’apercevais dans un couloir neigeux. Hirsute, visage creusé par l’effort, il arborait un air farouche, accru par la présence d’un gros patou, un de ces chiens gardeurs de troupeaux qui peuvent être dangereux pour les imprudents. D’ailleurs ce dernier grondait, ce qui n’était pas fait pour me rassurer.

-Du calme, Féraud, entendis-je, et le chien se mit au repos, sa grosse tête tournée vers moi comme pour m’observer.

Chasseur de fourrures, amateur de quartz, je m’interrogeai sur mon bonhomme. On parlait dans la contrée de maraudeurs collectionnant clandestinement les peaux de blanchons, ces lapins à la fourrure d’un blanc éclatant en hiver, servant à réaliser des toques ou des moufles pour des touristes fortunés. Il portait un sac qui semblait lui peser. La courtoisie des marcheurs en montagne m’obligeait à le saluer.

-Bonjour ! Vous venez de là-haut ?

-Ouais, répondit-il d’une voix sourde.

-Pas trop froid ?

-Je suis équipé pour…

-Bonne chasse ?

-C’est mon affaire !  Vous n’êtes pas garde au moins ?

Son comportement était devenu franchement désagréable…

-Non, je me promène.

-Eh bien, au revoir.

Et l’énergumène repartit sans m’accorder un regard.

Tout le monde ne pouvait pas être moniteur de ski, me dis-je : Avec les artisans liés au développement des stations, ceux-là étaient les privilégiés du jour. Mais gagner sa vie en chassant était une survivance du passé : pour les derniers réfractaires de la mondialisation, l’existence était dure…

Et je repartis. Au moment de m’écarter, je jetais un coup d’œil en arrière. L’homme s’était arrêté et m’observait.

Alors un frisson me caressa le dos. Peut-être mon amateur de fourrures vivait-il dans quelque cabane perdue, avec son chien comme seule compagnie. Celui-ci pouvait aussi bien me sauter dessus…

Bref, je n’en menais pas large. Mais l’homme ne semblait pas me suivre et, au terme d’une vaste clairière, j’arrivai à une plate-forme d’où on apercevait la petite localité du Lauzet en contrebas. Une butte de rocher permettant de m’asseoir sans trop me mouiller les fesses, je posai mes skis et fis le tour du paysage pour mieux observer la vue.

Le hameau dans les dernières années s’était agrandi sans perdre de son charme et, visible au travers de flocons épars, je discernai l’église et les vieilles maisons qui l’entouraient. C’étaient de fortes demeures à l’ancienne, construites avec des murs épais faits pour résister aux grands froids. Autour du vieux village, s’étaient élevées des maisons plus modernes. La beauté d’une petite bourgade encore préservée de l’agitation des grandes villes et la simplicité de ce fond de vallée avaient séduit les citadins de Grenoble, de Marseille ou de Turin. Quelques volutes de fumée s’élevaient des cheminées : on ne plaisantait pas ici avec le gel, sans oublier la pauvreté des terrains, irriguées par des canaux minuscules permettant à quelques arpents d’orge de pousser dans la sécheresse de l’été.

J’étais plongé dans une contemplation silencieuse lorsque soudain un grondement me fit sursauter et j’aperçus le patou qui s’avançait vers moi, l’air féroce. Où était son maître ? Je pris un bâton à la main, prêt à faire face quand j’entendis un sifflement et l’homme apparut, l’air mauvais :

-J’ai besoin de sous !

J’étais seul. Pas de soutien en vue…

-Qu’est-ce que vous voulez ?

-Ce que vous avez !

Alors je sortis mon portefeuille, le patou continuant à montrer les dents et je le vidai de son contenu : deux cents vingt euros que je lui tendis.

-Ca ira, me dit-il. Mais n’avisez pas de raconter ça au retour.  

-Si j’ai pu vous rendre service, tant mieux…

Pitoyable observation, me dis-je, dont j’aurais mieux fait de m’abstenir…

Alors il repartit à une vitesse incroyable, descendant la piste à grandes enjambées. Vers où ? Je ne pouvais le deviner. J’attendis qu’il ait disparu et plutôt que de retourner sur mes pas, je me dirigeai à ski vers le village, cent cinquante mères de dénivelée plus bas. La pente était très raide et je manquai plusieurs fois de me casser la figure. Cependant, j’arrivai sain et sauf et m’arrêtai pour reprendre souffle.

Sous le coup de l’émotion, je m’interrogeai : qu’allait devenir cet homme revenu par faim à la brutalité des premiers remps ? Et qu’allait devenir notre monde, livré au réchauffement climatique et aux guerres de conquêtes dont l’envie avait saisi une fois de plus les puissants ? Un sentiment d’effroi m’envahit : rien ne pouvait éviter le déferlement de cruauté qui s’annonçait et dont l’individu rencontré était le symbole. Mais n’étais-je pas moi aussi coupable du retour à la barbarie ? Ma génération n’avait-elle pas vécu en surexploitant sans complexe les ressources de la planète, poussant les malchanceux au désespoir ?

Alors je regardai l’heure. Il était temps de rejoindre celle qui m’attendait pour déjeuner. Je rechaussai mes skis et par la trace classique, je pris le chemin du retour, beaucoup plus aisé qu’à l’aller. Je n’avais qu’à me laisser glisser. Une heure et demie plus tard, j’avais rejoint mon point de départ.

Cette randonnée m’avait mis le cœur à l’envers. De plus, la neige s’était mise à tomber violemment, ramenant à zéro la visibilité. Où se cachait le malheureux ? Dans quelque misérable hutte probablement, à moins que ce fut dans quelque grotte au pied des sommets ? Alors que frissonnant, je pensais à ce que je venais de vivre, me revint opportunément à l’esprit le souvenir de la soirée d’hier …

*

La nuit tombait et nous attendions d’un instant à l’autre le retour des jeunes skieurs. L’atmosphère était paisible… J’avais posé ma petite fille. âgée de cinq mois sur le grand lit de notre chambre. C’était un bébé très éveillé, attentif autant qu’on peut l’être à cet âge, aux lumières, aux sons et aux visages. Mais au-delà de cette présence apparaissaient déjà des revendications personnelles. Sa figure exprimait alors des sentiments forts, demandant une réponse rapide à ses exigences. L’âge ne faisait rien à l’affaire, elle avait sa façon d’être et le faisait savoir…

Elle regardait le plafond et gigotait avec entrain, agitant ses petites jambes en tous sens. Pour attirer son attention, j’avais placé devant elle, debout sur sa tranche un livre d’images en couleur représentant des animaux familiers : chiens, chats et autres lapins.

Cet objet, je m’en étais rendu compte aussitôt, la passionnait et elle avait décidé de se l’approprier. Alors commença un épisode captivant : séduite par les animaux représentés, elle tenta de se propulser vers elles. Poussant sur ses petits bras, sa détermination s’affirmait sans faille et je lui souriais, admirant sa ténacité. Mais elle n’avait pas la force nécessaire pour parvenir à son but. Allais-je entendre des cris de rage exigeant de moi secours et assistance ? Je me préparais au pire…

Eh bien, je m’étais trompé. Après cinq bonnes minutes d’efforts infructueux, elle abandonna ses tentatives et se reposa paisiblement. Son regard n’était pas fâché, non, il était réaliste : je ne peux satisfaire mes ambitions, qu’à cela ne tienne, j’y renonce.

J’avais admiré sans réserve la sagesse de ce petit être impuissant face à ses désirs. Si seulement l’humanité, dans sa frénésie de puissance pouvait faire preuve de cette acceptation devant quelque obstacle impossible à surmonter, le monde se porterait beaucoup mieux !

Alors je m’étais approché, ému, pour l’embrasser. Elle m’avait laissé faire, offrant à mes lèvres son front pur et ses boucles naissantes. : un délicieux sourire d’une limpidité absolue était apparu sur ses lèvres, exprimant à sa façon innocente l’affection qu’elle me portait et je m’étais senti ému. Au-delà des rivalités, des maladies et des guerres, il y avait l’affection sincère d’une toute petite fille. Et le sentiment m’avait envahi que le ciel venait de s’ouvrir un instant pour me signifier que les hommes ne lui étaient pas indifférents… Le monde pouvait bien aller vers sa perte, la sauvagerie exercer sur les hommes son ascendant impitoyable, rien n’était perdu. Car l’univers était capable d’éveiller en nous la paix qu’apporte un être sans défense, mais porteur de l’éternité…

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