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Photo du rédacteurGilles Cosson

Existe t-il une culture européenne ?

...et si oui, quelles sont ses caractéristiques, comment peut-elle résister au phénomène de mondialisation culturelle ?


Conférence à la Maison de l’Europe de Paris


La culture est une notion multiple: culture politique, littéraire cinématographique, culinaire, sociale etc… Elle est toujours liée à un groupe humain, disons pour faire simple à la nation. L’Europe est-elle une nation? Renan … « La nation comme l’individu est l’aboutissement d’un long passé d’efforts, de sacrifice et de dévouement. Avoir des gloires communes dans le passé, une volonté commune dans le présent; avoir fait de grandes choses ensemble, vouloir en faire encore, voilà les conditions essentielles pour être un peuple …  » Peut-on dire qu’il existe une nation européenne répondant à ces caractéristiques? À l’évidence non! Ce sont plutôt les conflits qui ont marqué le passé. En revanche, il existe une juxtaposition de cultures nationales. D’où viennent ces cultures, ont elles des points communs ?


1 – Pour comprendre la présent, il faut d’abord éclairer le passé: un peu d’histoire


Nous regarderons le problème au travers de trois pays caractéristiques : France, Allemagne, Angleterre.


France

Pour nous amuser un peu, que disait des Gaulois Strabon, chroniqueur et historien grec du premier siècle avant Jésus-Christ?  » À leur franchise, dit-il, et à leur fougue naturelle, les Gaulois joignent une grande légèreté et beaucoup de fanfaronnade, ainsi que la passion de la parure, car ils se couvrent de bijoux d’or … et leurs chefs s’habillent d’étoffes teintes de couleurs éclatantes et brochées d’or. ..  » Et il ajoutait: « Cette frivolité de caractère fait que la victoire rend les Gaulois insupportables d’orgueil, tandis que la défaite les consterne … « 

Les choses ont-elles tellement changé? Toujours est-il que la conquête romaine s’abat sur ce peuple léger et tente de lui donner des habitudes de discipline. Et avec la conquête arrive aussi l’héritage de la Grèce antique avec ses rhéteurs et ses sophistes, entraînés à toutes les finesses de la spéculation intellectuelle. La France du Sud, avec sa Narbonnaise, province romanisée la première et moins sujette par la suite aux incursions des barbares du Nord, subira profondément l’influence de Rome et à travers elle de Ia Grèce. Ce n’est pas un hasard si la rhétorique y fleurira à loisir et donnera son nom pour longtemps à ce qui est devenu la classe de première. On peut d’ailleurs dire qu’elle y fleurit toujours, nos provinces méridionales tombant volontiers sous le charme du beau discours et du beau parleur. N’oublions pas que les troubadours, ces poètes qu chantaient les charmes de la femme sont nés dans cette région … La galanterie française a des origines anciennes ou, pour dire les chose autrement, le modèle culturel français vient de loin …. Voici pour les origines. Sautons maintenant au début du 20ème siècle. Face au début de mondialisation technique avec l’arrivée du téléphone, de la radio et de l’avion, révolution dont on sous-estime aujourd’hui le caractère déstructurant par rapport au modèle traditionnel de l’école et du clocher, une crispation à fort contenu nationaliste se produit déjà et nous allons voir que ce phénomène est général en Europe. Que disent les leaders d’opinion de l’époque? Clemenceau ouvre le bal sur le mode laïque après le coup de Tanger. Qu’écrit-il dans l’Aurore du 1er juin 1905? « Être ou ne pas Être: voilà le problème qui se pose pour le première fois depuis la guerre de cent ans face à l’implacable volonté de suprématie allemande. Nous devons à nos mères, à nos pères et à nm enfants de tout épuiser pour sauver le trésor de vie FRANCAISE que nous avons reçu de ceux qui nous précédèrent et dont nous devrot rendre compte à ceux qui nous suivront… » Il est aussitôt relayé par tous ceux qui vont donner unf dimension mythologique, voire mystique à ce sentiment instinctif. C’est Maurice Barrès avec sa série des « bastions de l’Est» , en particulier « Colette Baudoche » publié en 1909, sans doute le plus représentatif, livre dans lequel il exalte les vertus « françaises  » maintenues nar les Lorrains sous occunation allemande

 C’est Charles Peguy qui après avoir écrit « notre patne » en 1905, insiste sur le «peuple inventeur de la croisade », sur la « nation privilégiée de Dieu » après 1907 C’est enfin le véritable culte renùu à Jeanne d’Arc perçue comme l’incarnation des valeurs « françaises» à base de foi, de courage et d’esprit chevaleresque.



Allemagne

Que disait dans un lointain passé l’historien romain Tacite des Germains ? « Si la cité où ils sont nés s’engourdit dans l’oisiveté d’une longue paix, la plupart des jeunes nobles s’en vont d’eux-mêmes chez des peuples qui ont alors quelque guerre car cette nation déteste l’état de paix …

Et il ajoute « Dans cette nation, les adultères sont extrêmemènt rares car la punition est immédiate. Le mari coupe les cheveux de sa femme, la met nue et, en présence de ses proches, la mène à coups de fouet à travers tout le village …  » Gai, non ? Sautons là aussi au début du 20èrnc siècle. On ne dira jamais assez à quel point l’Allemagne de l’époque est dominée par la Prusse et la Prusse par la caste militaire. Or, comme le disait déjà ,Mirabeau, la Prusse est une « armée qui possède un Etat». Et cet état véhicule, lui aùssi, de très fortes valeurs mythologiques. Au premier rang de celles-ci, le culte du souvenir des ordres militaires, Porte-Glaive et Teutoniques, avec leurs chevaliers arborant le lanteau blanc à croix rouge ou noire: 12 au 15ème siècle Les Hohenzollern (qui eux-mêmes remontent au 14èrnc siècle sans discontinuité) et les familles de hobereaux prussiens, les junkers, Moltke, Manteuffel) ont l’orgueil de leurs ascendants: le romantisme nourri à ces sources est immense. Guillaume II construit le Haut Koenigsbourg en Alsace autour de 1910 sur le modèle des forteresses teutoniques et restaure Kaltenbom en Prusse Orientale. Marguerite Yourcenar dans le «Coup de grâce», Michel Tournier dans le «Roi des aulnes» ont bien illustré ce thème. éécoutons le chant de la Prusse Orientale cité par Townier : « Le poing se serre sur la lance Les rênes tiennent ferme l’étalon. Ainsi chevauchons-nous d’Ouest en Est

Le glaive à la main, la charrue ouvrant le sol Pour accomplir l’œuvre des chevaliers allemands … » .

Citons aussi Wagner et le culte des héros, Siegfried, Lohengrin et les autres … On le voit, ces mythes fondateurs ont une très grande importance dans la formation du modèle culturel allemand de l’époque.


L’Angleterre, marchande

Elle devrait être protégée de ce type de lyrisme, mais, au-delà de la nation « maîtresse des mers » Il et du « Rule Britannia », on trouve facilement d’assez beaux développements. En voic un cité par Lawrence Durrell : « Référez-vous de votre patrie, jeunes hommes d’Angleterre, une île sous un sceptre, une source de lumière pour l’univers entier, U1 centre de paix, maîtresse du savoir et des arts, fidèle servante de, principes éprouvés par le temps, et parmi les cruelles et bruyante. jalousies des nations, une nation vénérée pour son inégalable courage e pour sa bienveillance envers les hommes …  » Plutôt élogieux … Bref, et je passe sur les autres pays qui enrichiraient sans peine le florilège, la culture européenne d’autrefois : était donc caractérisée par un formidable trop plein idéologique ; caractère nationaliste qui a donné naissance à la première guerre mondiale, puis après l’effondrement sur elle-même de cette étoile-là, au délire idéologique, disons à la supernova idéologique de l’entre-dem guerres (communisme puis nazisme). En réaction à ce délire, l’Europe s’est réveillée vers les années 50 avec une mémorable gueule de bois ou pour rester dans notre métaphore astronomique, est tombée dans un trou noir idéologique qu dure encore d’aujourd’hui. Sort-il beaucoup de lumière de ce trou noir là ?, la question peut se poser.


2 – La situation d’aujourd’hui


Quels sont les risques d’un tel trou noir? Si elle veut être en éta de résister à des catastrophes toujours possibles en matière économique militaire ou autres, l’Europe a désespérément besoin d’une culture commune. À défaut, un drame comme celui de la Bosnie peu parfaitement se reproduire. Oui aurait cru une chose pareille à l’époque des Jeux de Sarajevo voici vingt-cinq ans?


Ecoutons Zweig parlant de la guerre en Europe :


… « Elles arrachent des ténèbres de l’inconscient pour les tirer au jour, les tendances obscures, les instincts primitifs de la bête humaine, ce que Freud dans sa profondeur de vues, appelait le dégoût de la culture, le besoin de s’évader une bonne fois du monde bourgeois des lois et des paragraphes et d’assouvir les instincts sanguinaire immémoriaux …  » La guerre est bien d’une certaine façon le rejet de la culture. Pour éviter une telle catastrophe, y aurait-il donc une culture universaliste en train de naître ? Voyons un peu : -Dans le domaine de la culture politique, les peuples européens ont inventé un modèle original, mais si compliqué qu’il devient difficile à expliquer, -dans le domaine de l’idéal, ils glorifient leurs navigateurs solitaires ou leurs alpinistes de l’extrême, ultimes parangons des héros d’autrefois, -Dans le domaine de l’humanisme, ils exaltent les valeurs humanitaires, substitut évident des valeurs religieuses de dévouement et de charité, -dans celui des droits du citoyen, ils viennent d’élaborer une belle charte des droits fondamentaux, dernier perfectionnement du droit romain protégeant l’individu contre l’oppression des Etats … Mais l’Europe, en tant qu’entité, reste désespérément dépourvue de cette mythologie des origines, de ce corpus spirituel inconscient qui fait une nation et permet aux peuples de traverser les épreuves sans désespérer. J’incline donc à penser qu’il serait utile que s’engage ‘à l’échelle européenne une réflexion sur les racines culturelles communes des peuples d’Europe. On en imagine sans trop de peine quelques contours. – l’Europe est un mode de vie dans lequel le rôle de l’argent n’est malgré tout que relatif, – l’Europe accorde aux valeurs culturelles une place centrale, elle vit la diversité comme une occasion permanente d’enrichissement. – Jeanne d’Arc, les chevaliers allemands, les conquistadors espagnols, les condottieres italiens, l’officier gentleman anglais, la papauté que sais-je ?, constituent une partie de son histoire. -L’ Europe puise dans son histoire une fierté et des enseignements ( diff USA: ex maison du gén. Marshall a été détruite sans complexe)


Pour conclure, relisons Stefan Zweig parlant de la cathédrale de Rouen: « Dans la nuit, nous nous tînmes devant la cathédrale dont les flèches brillaient d’une lueur magique à la clarté de la lune. De telles merveilles de douceur appartenaient-elles encore à une patrie ?, ne nous appartenaient-elles pas à nous tous? On pourrait dire la même chose d’une pièce musicale de Monteverdi, d’une cantate de Bach, d’un livre de Buzzati… .. La prise de conscience de ce socle culturel commun nériterait à l’évidence de faire l’objet d’une éducation pécifique des jeunes et que soit largement développé les échanges scolaires dès le niveau du secondaire. Concluons : Parler de culture commune est aujourd’hui exagéré, il faudrait plutôt parler de la juxtaposition de cultures (d’une « pseudoculture » ?) qui se rapprochent peu à peu sous l’effet des voyages et des échanges; mais aussi sous l’effet d’une agression extérieure, celle de la mondialisation culturelle 3/ La « pseudo culture » européenne face à la mondialisation? Il est certain que les cultures européennes d’autrefois ont toujours eu un caractère assez élitiste, en relation avec les cours royales qui les encourageaient, puis de l’Université. L’irruption du modèle méricain est celui d’une culture de masse à caractère essentiellement audiovisuel et relativement peu exigeant. Le danger d’aujourd’hui : Tocqueville « Je veux imaginer sous quels traits le nouveau despotisme ourrait se produire dans le monde : je vois une foule innombrable ‘hommes semblables et égaux qui tournent sans repos sur eux-mêmes our se procurer de petits et vulgaires plaisirs dont ils emplissent leur âme. Chacun d’eux, retiré à l’écart, est comme étranger à la destinée de tous les autres: ses enfants et ses amis forment pour lui toute l’espèce humaine; quant au reste de ses concitoyens, il est à côté d’eux, mais il ne les voit pas… Il n’existe qu’en lui-même et pour lui seul et, s’il lui reste encore une famille, on peut dire du moins qu’il n’a plus de patrie …  » On ne saurait nier que le déferlement des produits culturels méricains, préemballés et prédigérés, en particulier en matière de inéma et de télévision, va dans ce sens. Il est aggravé par le trou noir idéologique dont je parlais tout à l’heure qui génère une tentation de repli sur soi. L’irruption de la culture américaine a donc un formidable effet de rouleau compresseur. De plus, elle est faite pour satisfaire à moindres frais le plus grand nombre et comporte un véritable dumping. Pourquoi ? -Coût amorti sur des séries préfabriquées assemblages de Iriques culturelles -Public mondial et très large diffusion -Besoin (utilité pratique) de la langue anglaise Cette lame de fond peut tout balayer, comme le coton américain, peut, paradoxe, balayer en Afrique même le coton local. Que reste-t-il aux cinémas nationaux face à cette lame de fond: pas grand chose … Notons l’effacement relatif des cinémas italiens, allemands et même anglais autrefois si riches. Certes il y a David Lynch, Ken Loach, Vim Wenders, Almodovar, mais l’époque des chefs d’œuvre italiens paraît bien lointaine. Nos écrans sont aussi envahis par les productions méricaines que nos rues par les Mac Do. Faut-il agir? Le point de vue des détracteurs La mise en place d’un système de soutien spécifique (prix du vre, soutien à la création cinématographique) favorise l’immobilisme et l médiocrité Le point de vue des promoteurs L’exception culturelle est le seul moyen de sauver la spécificité européenne. La culture n’est pas une marchandise ordinaire que l’on peut méliorer par la concurrence et le plus bas prix. Le débat est ouvert. Constatons que la France est aujourd’hui quasiment seule sur le créneau de la défense de l’exception culturelle ce qui n’est guère satisfaisant. Une culture européenne originale doit naître en même temps que les cultures nationales subsister. Constatons aussi que cela va demander du temps et de l’argent. Cela va demander aussi un minimum de volontarisme.

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