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Photo du rédacteurGilles Cosson

Monothéismes: la nécessaire révolution

I – Les « explications globales du monde » : causes et réceptacles des grands bouleversements du passé


Les religions ou philosophies d’essence unitaire ont été une des causes des grands mouvements de l’histoire tout en offrant un réceptacle spirituel permettant d’absorber les chocs correspondants :La chute de l’empire romain et l’adoption du christianisme (cf. Gibbon)L’expansion foudroyante de l’islam et la prédication de Mahomet La Révolution française et la « religion » des LumièresLa Révolution bolchevique et la vulgate marxiste


Tous ces événements ont en commun d’avoir trouvé place dans la sphère d’influence des trois grandes religions monothéistes, disons l’Occident au sens large, et d’avoir profondément changé le monde dont ils ont été la « pointe » intellectuelle et matérielle. Tout se passe comme si la créativité et le dynamisme associés au monothéisme et plus généralement aux courants de pensée d’essence unitaire avaient généré une effervescence intellectuelle sans égale assurant à ses tenants la domination intellectuelle et matérielle du monde. Pourquoi et comment ?


L’ésotérisme de la pensée juive et l’interprétation permanente :la croyance en un dieu unique, gardien du peuple « élu », a soudé le peuple juif, lui permettant de survivre à toutes les catastrophes. L’interprétation permanente de la Torah (Mischna, Talmud) a créé une aptitude remarquable à la spéculation intellectuelle comme à la pratique intelligente du monde matériel.


La doctrine chrétienne et ses avatars, héritage de la pensée philosophique grecque : les étapes successives de la définition du dogme ont été une succession de discussions de type néoplatonicien :


  • émergence progressive de la notion trinitaire ;

  • controverses sur la nature du Christ : arianisme, nestorianisme, monophysisme, consubstantialité du fils et du père ;

  • complexification et rigidification de la doctrine avec ses conséquences ;

  • essoufflement de la capacité de propagation de la foi et perte de crédibilité face au monde moderne.


Malgré toutes ces faiblesses, le mariage de la croyance en un Dieu unique, juge de tous nos actes, et de la souplesse d’esprit grecque a longtemps donné cohérence et créativité à l’Occident chrétien.


La révélation de l’islam et ses avatars tribaux, héritage de la tradition proche orientale :unité et transcendance parfaite de Dieules grands schismes « tribaux »: chiisme, ismaélisme…l’absence de tradition critique se prêtait à la révélation d’un Livre incréé mais paralysant, avec invasion de la sphère séculière par le religieux, aujourd’hui frein à l’acceptation de la modernité. La foi exaltée en un Dieu unique et la notion de guerre sainte ont donné à l’islam une force militante lui permettant la domination militaire et intellectuelle (dans ses intervalles de tolérance) du monde pendant plusieurs siècles.


La révolution des Lumières comme la doctrine marxiste ont été le support idéologique et le réceptacle des grandes révolutions de l’époque contemporaine.Les Lumières et la foi exclusive en la raisonLa philosophie marxiste et la « fin de l’histoire »


II – Un bouleversement de notre monde est-il imminent ?


Une « explication globale du monde » l’annonce-t-elle en l’accélérant et en se préparant à recevoir ses restes ?


  1. Les signes communs aux bouleversements passés sont là : décadence des mœurs, rejet des vertus viriles, népotisme, « juridisation » à outrance de la société, refus de l’autorité, affaiblissement du pouvoir central, individualisme.

  2. Parmi les autres signes d’aujourd’hui, facteurs d’accélération du changement, notons la mondialisation, la croissance rapide de l’Orient , le début de la conquête spatiale.

  3. Une nouvelle « explication globale du monde » de type unitaire est-elle à l’œuvre ? On ne distingue pas clairement laquelle.

  4. Caractère singulier de la situation actuelle : ses dangers.


III – Quelle peut être l’interprétation des constatations ci-dessus ?


  1. Le changement est moins radical et moins imminent qu’annoncé.

  2. Le besoin n’est plus d’une « explication globale du monde » de nature unitaire et les bouleversements prévisibles relèveront plutôt de l’anarchie intelligente (telle la « régulation par le marché » chère aux libéraux en matière économique). Mais les secousses du système peuvent être terribles.

  3. Le monothéisme et plus généralement les doctrines « unitaires » ont épuisé leur créativité et ne parviennent pas à se doter d’une approche compatible avec les temps nouveaux.

  4. L’heure de l’Orient (attendue par celui-ci depuis près de deux mille ans) a sonné : la sclérose de fait et les querelles intestines des divers monothéismes (exemple du bourbier irakien ou afghan) sont en train de faire perdre leur prééminence aux civilisations occidentales (au sens large)… Les philosophies religieuses orientales, souples et polymorphes (c’était déjà l’analyse de Julien l’apostat : monothéisme = fanatisme ; polythéisme = liberté) s’adaptent mieux que les religions monothéistes à l’âge dans lequel nous entrons.

  5. Des conflits redoutables nés au sein de l’Orient risquent cependant de mettre le monde à feu et à sang sans qu’aucune philosophie « de remplacement » ne soit apparue.


Conclusion


Le monothéisme doit faire sa révolution s’il veut continuer à être le moteur de l’histoire. Une nouvelle et profonde « Réforme » (Refondation) s’impose avec réexamen en profondeur des textes et des traditions. Une philosophie commune est-elle envisageable ? Que faudrait-il (approche minimaliste) pour parvenir à une sortie « par le haut » ? La pensée juive devrait abandonner la notion de peuple élu ; la doctrine chrétienne devrait oublier le dogme trinitaire, l’immaculée conception et autres attributs du culte marial ; enfin bien sûr, pour les catholiques, l’infaillibilité pontificale (dogmes inadaptés à notre époque). Le Coran devrait être remis dans le contexte de son temps, et abandonné pour sa partie séculière.


Tout ceci n’a aucune chance de se produire. Une révolution est donc nécessaire : c’est là qu’intervient l’intuition de la spiritualité nouvelle qui n’est en rien contraire aux précédentes révélations dont elle retient la partie purement spirituelle. Dieu absolument transcendant (et immanent), idée commune à toutes les religions.Abandon de la demande humaine de faire un Dieu à sa mesure, de vouloir être compris et aimé (au sens que nous sommes capables de donner à cette notion), d’imaginer un Dieu « protecteur de son peuple », d’interpréter ce qui nous arrive à la lumière de notre raison. Nous ne pouvons prétendre avoir accès au dessein de Dieu. L’unité de Dieu n’entraîne pas l’unité du monde dans lequel nous vivons. La contradiction apparente restera la règle (Héraclite). Humilité absolue du croyant qui doit s’en remettre à Dieu, ce qui ne veut pas dire abandonner son libre-arbitre ni sa volonté d’agir : la liberté (relative) de l’homme est la justification même de sa condition. Construction d’une société régie par des règles morales relevant des nécessités d’une vie sociale harmonieuse et de la notion de bien commun. Ne jamais mélanger morale pratique et transcendance.


 La spiritualité de demain sera riche en recherches et pauvre en dogmes.

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